Il manquait au festival Paris Cinéma un film capable de provoquer un sentiment excessif chez le spectateur : adhésion absolue ou rejet total, toute interrogation sur la finalité d’une telle œuvre est en tout cas légitime. Mange, ceci est mon corps répond à ces critères presque indispensables à la réussite d’un festival de cinéma. Le film divise, énerve, passionne, ne laisse personne indifférent (peut-être que Milky Way, le film expérimental de la compétition et le seul que nous n’ayons pas pu voir, aura provoqué des réactions similaires).
Pendant la seconde projection de Mange, ceci est mon corps, beaucoup de fauteuils ont claqué, des spectateurs énervés se sont interpellés et les portes se sont refermées bruyamment. Il ne serait pas surprenant que le sympathique réalisateur du film, Michelange Quay, ait apprécié. Le film semble avoir été produit en partie pour cela : déranger. Impossible en tout cas de le résumer en quelques lignes : nous dirons donc juste que l’ « action » se déroule à Haïti, qu’il s’agit d’une réflexion sur l’identité, les concepts de race et de classe, la misère, la pauvreté en opposition à l’opulence et au pouvoir. Sylvie Testud et Catherine Samie récitent plus qu’elles ne jouent, pendant que le spectateur, interloqué, se demande si le sous-texte poético-politique lui échappe ou si le cinéaste est simplement en train de le mener en bateau.
Force est de reconnaître que passée une introduction d’une sidérante beauté (la caméra survole des paysages haïtiens, bercée par un chant hypnotique, avant de s’attarder sur une scène de danse et de transe fascinante), le film tend à se complaire dans un symbolisme quelque peu caricatural, privilégiant un rythme volontairement lent qui plombe une succession de scènes sans queue ni tête. On s’ennuie franchement devant autant de maladresse : Michelange Quay est-il vraiment obligé de faire passer son message par le biais d’une mise en scène qui frise l’auto-caricature ? En se prenant les pieds dans son parti-pris radical, Mange, ceci est mon corps ressemble à sa propre parodie : un film abscons, totalement hermétique et replié sur lui-même, qui produit l’effet inverse de celui escompté. C’est regrettable, car nul doute que Michelange Quay a des choses passionnantes à dire… encore faudrait-il qu’il fasse en sorte que quelqu’un les entende.