Patrick Keiller poursuit son étrange et inimitable filmographie, la quête d’une sorte d’histoire naturelle de l’œuvre humaine. Ceci par le bout de la lorgnette : le paysage britannique. Sont convoqués, entre autres choses, aussi bien un arbre trônant majestueusement dans un pré que le parking d’un magasin LIDL ou les vestiges d’une cimenterie. Comme dans London et Robinson dans l’espace, cela passe par un dialogue singulier entre image et narration, un geste cinématographique qui tient de l’inventaire érudit, de la méditation misanthrope et de l’humanisme loufoque. Pour le britannique, le cinéma est un moyen de se chercher une place, plus que la trouver. Robinson, cet étrange personnage-concept est un naufragé en ce monde. En raison – ou à la faveur – d’un problème de logement rocambolesque, lié à la crise financière, voici ce chantre du vagabondage dans une nouvelle déambulation au sein des couches de temps et des échelles d’espaces, parcourus par le verbe et l’image.
Verbe et image, nous y voilà. Patrick Keiller pratique un cinéma à deux têtes : le vu et le dit sont deux flux qui se croisent, s’épousent, prennent un peu distance, se tendent un miroir plus ou moins déformé, dialoguent ; un couple solide mais versatile, dans une perpétuel mouvement de construction-déconstruction, de l’un par l’autre. Les cadrages fixes et frontaux, impressionnants de rigueur, tiennent de la composition picturale, ils sont enveloppés – et réciproquement – dans cet anglais châtié, parfaitement articulé par Vanessa Redgrave (on regrette toutefois le timbre «BBC english» de Paul Scofield, qui officiait dans Robinson dans l’espace). Un plan bucolique de coquelicot fait suite à celui d’une affiche électorale d’un candidat conservateur, le tout en évoquant et Boris Johnson, maire tory de Londres, et la question de l’éradication de la culture de l’opium en Afghanistan, suivie d’une citation de Walter Benjamin. À coup de brillantes digressions ubuesques, Robinson/Keiller jettent un regard indigné sur le monde, avec une ironie mordante, un accablement tranquille teinté de dandysme. Entre ces éléments épars, Patrick Keiller rend possible une foule d’associations, rapprochements, correspondances. Il nous parle du biotope humain, de l’usage des lieux par les pouvoirs publics, se soldant souvent par leurs priva(tisa)tions (question que pose également brillamment, sur un tout autre ton, Lee Ann Schmitt dans California Company Town, vu au Cinéma du Réel en 2009). Si c’est une manière d’épuiser la question du politique, c’est aussi la possibilité d’envisager une autre manière d’être au monde, de l’appréhender et de s’y mouvoir.