Drôle de projet que cette Rançon de la gloire, incursion de Xavier Beauvois dans le champ de comédie. Le pitch ? Eddy, délinquant tout juste sorti de prison (Benoît Poelvoorde) est hébergé par son ami Osman (Roschdy Zem), émigré algérien qui peine à joindre les deux bouts. Eddy, apprenant la mort de Charlie Chaplin et son enterrement à quelques kilomètres de là, près du manoir suisse où l’acteur a vécu ses dernières années, concocte alors le plan suivant : lui et son camarade vont dérober le cercueil du célèbre défunt pour rançonner sa richissime famille. On voit bien ce qui a incité Beauvois à se lancer dans ce projet inspiré d’un fait divers : la promesse d’une comédie de bras cassés sur laquelle planerait le doux spectre du géant comique.
Oui, mais voilà, le problème (principal) du film tient dans un constat tout simple : le postulat produit bien peu de situations comiques, à l’exception des quelques scènes où les personnages tentent de contacter la famille Chaplin. Prenons ainsi l’exemple de la séquence centrale de l’exhumation. Le film applique son idée à la lettre, les deux compères vont au cimetière, déterrent le cercueil qui est par la suite transporté puis caché. Que se joue-t-il dans cette séquence, d’environ dix minutes ? Absolument rien. Il n’y a aucun enjeu dramatique (deux-trois regards inquiets et le bruit d’un train qui passe sont pourtant bien là pour entretenir l’illusion d’un suspense), et donc rien à mettre en scène. Beauvois se contente dès lors d’illustrer l’épisode en question, et seule la musique de Michel Legrand, entre lyrisme, pulsions jazz et relecture du thème des Lumières de la ville, vient tout d’un coup par le décalage qu’elle produit (vraie audace de Beauvois que ce choix musical) instiller le doute quant à la visée réelle du film.
Car parallèlement à cette farce policière, pas honteuse mais terriblement convenue (les interprètes, à leur crédit, font de leur mieux), Beauvois mène son film vers des territoires plus inattendus, notamment celui d’un fétichisme cinéphile qui explique beaucoup le choix de Legrand comme compositeur – on entend également, à l’occasion d’un spot télévisé, un bout de la partition des Demoiselles de Rochefort, tandis que la présence de Chiara Mastroianni tisse un lien indirect avec la galaxie Legrand. Mais c’est surtout sur les emprunts à Chaplin que Beauvois s’en donne à cœur joie : la figure du démuni, la cohabitation entre pathos et pur comique muet sont ainsi autant de leviers utilisés par le film, qui hélas tombe dans le malheureux écueil de la verbalisation des intentions de l’auteur (le parallèle entre les personnages et Chaplin ; les évènements interprétés comme une farce mise en scène par le fantôme du cinéaste). Reste néanmoins la bonne idée, pas suffisamment exploitée, que les deux personnages incarnent chacun un versant de la figure de Charlot (la relation entre Eddy et une petite fille qui renvoie au Kid ; Osman et la pauvreté, notamment par sa maison qui évoque la bicoque de La Ruée vers l’or). Mais là encore, Beauvois se contente avant tout d’enfiler les références comme des perles, sans vraiment porter de regard singulier sur le mythique acteur-cinéaste. Passons donc sur les nombreuses et fades scènes de cirque (le cadre, là encore, tient de la citation), où Beauvois joue lui-même le Monsieur Loyal de ce petit chapiteau ancré dans un imaginaire naphtaliné. Elles ne sont qu’une preuve de plus de l’échec de ce film trop bien bancal pour convaincre et dont la fantaisie tient davantage du collage d’intentions.