Court (une heure et six minutes), le dernier film de Hong Sang-soo confirme ses efforts, visibles depuis un moment, pour ne pas paraître tourner en rond, à voir comment il a débarrassé son scénario des éléments auto-réflexifs (pas de référence au cinéma ici). Mais certaines habitudes sont tenaces, telles que le récit en abyme, segmenté et désordonné. Ici, une femme de Séoul reçoit par la poste, en un seul courrier, des lettres d’un Japonais, Mori (joué par l’acteur en vue Ryō Kase), qui lui a déclaré sa flamme deux ans auparavant, qu’elle a alors repoussé et qui, revenu récemment et lancé à sa recherche, décrit dans cette correspondance à sens unique ses pérégrinations dans la ville, y compris son aventure avec la serveuse du café « La Colline de la liberté ». Les lettres ne sont pas datées et, suite à un accident d’escalier, la lectrice doit les lire dans le désordre, si toutefois elle les a toutes récupérées… Avec Hill of Freedom, Hong Sang-soo semble vouloir renouer avec une légèreté mise en danger dans ses deux films précédents Haewon et les hommes et Sunhi. De fait, sa mise en scène, moins systématique dans les effets, a retrouvé une certaine douceur et une fluidité qu’on croyait en voie de désagrégation, et en fait de nouveau la démonstration dans ce récit épistolaire, où l’on navigue d’une lettre à l’autre en tâchant de recoller les morceaux de l’errance géographique et sentimentale du narrateur.
Ce qui empêche de s’enthousiasmer tout à fait pour ce ressaisissement apparent, c’est qu’il s’accompagne quelque part d’une régression, d’un retour vers un rapport en surplomb comique aux personnages semblable à celui qu’on pouvait trouver, à regret, dans In Another Country – et passant principalement par le langage. Mori ne parlant pas un mot de coréen, la plupart des dialogues sont en anglais, dans des phrases assez sommaires. En fait, la plupart des conversations se résument à des échanges de banalités un peu embarrassées – voire embarrassantes. Sans doute y a-t-il là une manière de souligner l’embarras des rapports entre autochtone et étranger. Mais quand le procédé est reconduit systématique (même entre deux amants au lit), quand il débouche parfois sur des scènes d’une gratuité qui laisse sceptique (comme celle où le fils de la patronne d’auberge joué par Kim Eui-sung, écho lointain du prof qu’il jouait dans Haewon et les hommes, lance une dispute idiote avant de répéter à Mori : « She’s a bitch ! »), on sent que la profondeur de l’humanité des personnages, sel des précédents films de Hong Sang-soo, prime ici moins que leur fonction d’ânonner des paroles qui les rabaissent en appuyant leur médiocrité, voire l’absurdité de leur comportement. À l’arrivée, une terrible question vient sourdement à l’esprit, pour la première fois depuis qu’on suit le parcours de Hong Sang-soo : avec tout son savoir-faire intact de raconteur, a-t-il encore quelque chose à nous dire ?