Manoel de Oliveira, ce vieux fripon, a l’art de jouer avec nos attentes. À l’annonce du tournage de son court métrage Le Vieillard du Restelo, celui-ci était censé être inspiré des Lusiades de Luís Vaz de Camões. Et voilà que la couverture de livre qui tapisse le générique est celle de Don Quichotte de la Mancha de Cervantes… Remarquez, ils sont bien là, Camões mais aussi Don Quichotte, et puis le poète Teixeira de Pascoaes et le romancier Camilo Castelo Branco (auteur de Mystères de Lisbonne adapté par Raoul Ruiz, mais aussi d’Amour de perdition adapté par Oliveira). Les quatre hommes, réunis dans un parc de notre siècle (après tout, passés à la postérité qu’ils sont, ils se moquent bien de l’espace, du temps et des anachronismes), devisent sur les origines de la littérature ibérique, la déchéance des rois, la vaine quête de la grandeur et les moulins à vent (thèmes familiers au cinéaste, qui rappellent un des plus beaux titres de sa filmographie : Non, ou la vaine gloire de commander).
La conversation est évidemment très intéressante, mais elle ne constitue visiblement pas la plus grande motivation d’Oliveira à tourner Le Vieillard du Restelo, qui inclut un nombre étonnant d’extraits de quatre de ses longs métrages passés, où figurent notamment Don Quichotte et Camilo Castelo Branco. Rarement un de ses films a versé à ce point dans la rétrospective, comme un début de bilan officiel. La rétro est menée avec entrain et sans aucune nostalgie apparente, mais ne laisse pas non de mettre en alerte sur l’avenir du cinéaste : eu égard à ses récentes difficultés à monter ses projets face aux réticences des assureurs, le voir se retourner vers son œuvre accompli n’est pas le meilleur signe. Sans doute est-ce une réaction affective de notre part, et y a-t-il de quoi la mesurer : l’envie de cinéma d’Oliveira est toujours visible, que ce soit pour retranscrire des images déjà conçues (sa façon de mettre en valeur des gravures de livres en rapport avec la discussion des personnages qui leur fait ainsi office de commentaire) ou pour en créer d’autres, d’une poésie simple comme ce vieil exemplaire des Lusiades remontant des flots et ballotté, idée que seul un cinéaste ayant foi dans les images pouvait filmer sans rendre risible. Il n’empêche que si l’envie lui prenait de livrer un film-testament, on espère qu’il aura le temps et les moyens de surpasser ce petit essai.