Film de fin d’études de l’Allemand Timm Kröger, The Council of Birds est une bonne surprise — la seconde avec The Coffin in the Mountain dans une « Semaine de la critique » qui inspire plutôt la lassitude. Idoinement eu égard à son intrigue, il s’est empreint du ton des nouvelles aux confins de l’étrange qu’on pouvait écrire au carrefour des dix-neuvième et vingtième siècles (comme Maupassant), pour en tirer une approche cinématographique limpide mais saisissante. En 1929, Paul le professeur de musique, son épouse Anna et son collègue Willi rendent visite à Otto, un de ses camarades d’études, compositeur prodige et avant-gardiste mais aux habitudes peu orthodoxes, dans la cabane au cœur de la forêt où il s’est retiré. N’y trouvant que la chienne d’Otto, ils s’installent pour spéculer et chercher des indices sur ce qui a pu se produire en ces lieux et dans la tête de l’artiste. Leur quête aura des suites imprévisibles, dans ces bois où les oiseaux chantent un drôle d’air… La beauté du film réside dans sa façon de susciter l’étrangeté en créant une harmonie esthétique trompeuse.
La peur du vide
La préférence pour les plans longs d’ensemble valorise chaque raccord, notamment dans la cabane où les personnages circulent, cherchent, devisent, se font face et se séparent. Dans ce lieu entre l’intérieur strict et le balcon, le cadre immobile ou mû par de très lents travellings, tel un observateur patient, fixe résolument les espaces dessinés dans l’espace par les interactions entre les individus et le décor, rend remarquables ceux qui y entrent et en sortent. Il peut aussi mettre ces espaces en vis-à-vis entre eux par le champ-contrechamp (voir la scène de conversation dans la salle à manger où ils lisent une lettre d’Otto, Willi et Anna autour de la table, Paul au bureau à côté), ou placer un personnage devant la difficulté de sa position en le filmant de dos face au mur. Si la cabane est un lieu plein d’énigmes propres à faire gamberger les esprits, la forêt inquiète plus encore parce qu’elle n’offre aucun indice tangible. Les personnages y sont généralement filmés tous ensemble et à distance, les isolant dans la nature opaque où ils circulent d’un pas trop tranquille que la caméra épouse sans sourciller. L’absence de signes visuels comblés par les arbres oppressants ne laissant rien voir ajoute à l’angoisse sourde de l’exploration. Cela vaut aussi pour le son, et l’usage de la musique classique qui semble remplir des vides inquiétants et les met ainsi en évidence. Il y a un passage assez intrigant, quand les visiteurs découvrent un champ et Paul part au devant du groupe pour interroger un paysan, à l’arrière-plan (la scène prend un seul plan): la marche de Paul dure une bonne minute filmée sans discontinuer, Willi et Anna l’observent sans bouger (et notre point de vue est semblable au leur), puis la musique retentit, comme si quelque chose d’invisible se manifestait au cours du processus.
La rupture
Dans cette harmonie suspecte, se déploie une intéressante étude de caractères : les personnages, qu’ils soient confiants ou perplexes, y font montre des leurs, au travers de leurs considérations de bourgeois de la République de Weimar issue d’une guerre perdue — la frustration et la répression de Paul, le désir de liberté d’Anna, la fausse frivolité de Willi. Il est d’ailleurs remarquable que, durant toute la première partie, la phase de découverte et de recherche, la caméra ne se braque jamais sur autre chose qu’au moins un de ces trois personnages. On ne les quitte pas du regard, et l’énigme qui les entoure tient alors toute entière dans le décor faussement vide — ou plus loin, dans le hors-champ que parfois ils perçoivent sans identifier, mais que nous ne percevons pas, ou pas mieux qu’eux. C’est quand la caméra décide de se détourner d’eux, de capter leur contrechamp (une silhouette dans la pénombre, un animal qui les observe, des arbres ondulant sous le vent…), que le film bascule, que l’étrangeté commence à les affecter dangereusement et à les mener sur un chemin sans retour où les faux-semblants s’érodent inexorablement. À la fin, quand le pic du drame a été atteint (et que le film s’est peu avant fendu du premier de ses rares gros plans), il n’est plus question de nature gardienne de secrets, ni d’entretien d’une harmonie esthétique par la mise en scène : la caméra se rapproche des personnages, le champ-contrechamp les met une dernière fois face à face, l’enregistrement du temps se laisse aller à la coupe. Quelque chose s’est brisé.