Daniele Ciprì et Franco Maresco, le tandem de réalisateurs satiriques italiens multi-censurés à la télé (Cinico TV) et au cinéma (L’Oncle de Brooklyn, Totò qui vécut deux fois), travaillent désormais en solo chacun de leur côté. Les dernières nouvelles de Ciprì sont oscillantes : bonnes quand il officie comme chef opérateur (pour Marco Bellocchio, notamment), mauvaises quand il réalise (Mon père va me tuer). En voici à présent de Maresco, qui capitalise d’ailleurs sur sa carrière passée au point de se mettre lui-même en abyme, puisque Belluscone. Une Storia Siciliana se présente comme un faux documentaire… sur un vrai documentaire fragmentaire de Franco Maresco, malicieusement requalifié d’ « inachevé ». Le film envoie le critique de cinéma Tatti Sanguineti (dans son propre rôle) à la recherche du réalisateur, « disparu » après l’échec du tournage du film d’enquête qui l’obsédait, sur les racines dans la mafia sicilienne de l’ascension politique de Silvio Berlusconi, et des connexions avec l’émergence de chanteurs napolitains « néo-mélodiques » (pop) managés par l’imprésario palermitain Ciccio Mira et chantant les louanges du « Cavaliere ».
Difficile de rater ses effets comiques avec un matériel réel si hallucinant sur les collusions entre la politique, le spectacle et le crime organisé. Ce dernier milieu, cependant, a un statut particulier puisqu’il semble strictement exclu d’en parler ouvertement en Sicile, d’où des scènes très drôles de sous-entendus, de lapsus, d’esquives et d’avertissements. De l’aspect fragmentaire du vrai documentaire (pallié par la mise en abyme) aux dénis des interlocuteurs, tout participe à pointer du doigt le caractère tabou du sujet de la Cosa Nostra, dans une population sicilienne semblant par ailleurs massivement acquise à Berlusconi. Les autres traits satiriques font également mouche, mais à écouter les réactions de la salle de projection vénitienne, cela a l’air encore plus savoureux quand on est italien.
Et on touche là à ce qui gêne un petit peu aux entournures avec ce film. Maresco ne manque pas d’idées visuelles pour appuyer sa satire, mélangeant images d’archives de reportages, d’émissions et de clips musicaux, colorisant systématiquement en noir et blanc le nébuleux et fuyant Ciccio Mira tel un vampire hantant l’actualité, interrogeant un homme politique véreux sur un trône cerné par l’obscurité et la brume… Mais Belluscone n’en joue pas moins essentiellement sur la connivence avec le public le plus directement concerné par le sujet. Dans ce sens, la démarche satirique de Maresco est cousine du rouleau-compresseur d’un Michael Moore, à ceci près que l’Italien, au moins, ne se pose pas en donneur de leçons en appelant à l’émotion de la population visée (au contraire, il joue de sa personnalité dans le sens inverse, par son absence et donc son manque de poids dans le discours). À l’arrivée, tout de même, on se demande si les moyens du cinéma étaient nécessaires pour un travail fonctionnant sur des principes plus proches de la télévision.