« Courage, le cinéma vous attend »
Le festival de Brive a toujours été placé sous le signe de la jeunesse. Fondé en 2004 par deux jeunes cinéastes en herbe, Katell Quillévéré et Sébastien Bailly, il est presque exclusivement tourné, dans ses sections de compétition et de panorama, vers la jeune génération européenne, confirmée mais encore apprentie car au stade du moyen-métrage.
La section Panorama est donc l’occasion annuelle de se pencher sur un territoire géographique choisi. Après la Roumanie, l’Allemagne, l’Angleterre et bien d’autres, la Suisse était cette année à l’honneur. Nous avons pu voir la moitié des douze moyens métrages proposés dont quatre films francophones et deux alémaniques.
La nouvelle génération

Si l’ombre du Groupe 5 plane encore sur la cinéphilie française qui s’est bercée des envolées lyriques de Jean-Luc Bideau dans la Salamandre du chantre suisse, Alain Tanner, l’actualité cinématographique nous glisse à l’oreille les noms maintenant familiers d’Ursula Meier, Lionel Baier ou encore Jean-Stéphane Bron. Leurs longs métrages L’Enfant d’en haut, Les Grandes Ondes et L’Expérience Blocher étaient encore récemment à l’affiche. Une génération qui ne semble pas être l’héritière nostalgique du cinéma suisse francophone qui a rencontré un franc succès en France dans les années 1960 et 70 mais qui s’épanouit dans des genres très différents, de la comédie loufoque au documentaire.
Dix ans après le Festival de la Rochelle qui, en 2004, avait choisi Vincent Pluss comme figure de proue d’une nouvelle génération de cinéastes helvètes aux côtés d’Ursula Meier, le festival de Brive proposait une sélection plus éclectique et variée. Ont été projetés, sur une période allant de 1989 à 2013, des fictions et des documentaires en français, allemand, espagnol et portugais de cinéastes confirmés, habitués du circuit des festivals ou heureux élus du box-office suisse voire parfois international. Fort heureusement, la notion de « jeunesse » est restée relative si l’on en croit la programmation côte à côte de Peter Liechti, décédé il y quelques jours à l’âge de 63 ans (Kick That Habit) et de Robin Harsch (La Petite Boiteuse), jeune cinéaste dont ce fut le premier moyen-métrage en 2008.
Un cinéma « fédéral »

À l’issue de la projection de son joli moyen-métrage suisse La Moto de ma mère, la réalisatrice Séverine Cornamusaz, également membre du jury de cette édition 2014, a livré au public une petite explication bien nécessaire en matière d’histoire suisse. Brièvement : la Suisse, ou plus précisément la Confédération suisse, est un État fédéral qui compte plusieurs langues officielles : l’allemand (la plus parlée), le français, l’italien et le romanche (partiellement officielle) ce qui a un impact direct sur la production cinématographique nationale. En découle une richesse culturelle mais également un antagonisme francophone/alémanique sous-jacent qui s’exprime surtout stylistiquement. Si l’on s’en tient aux films vus qui ne sont évidemment pas représentatifs de l’ensemble de la production cinématographique suisse, il se dégage en effet de la production alémanique un style plus télévisuel (Reise ohne Rückker d’Esen Isik ou Auf der Strecke de Reto Caffi) ou à l’inverse plus expérimental (Kick that Habit de Peter Liechti). Mais le nombre de films présentés ainsi que leur diversité nous empêchent heureusement de formuler d’autres généralités.
Prise de risque
Ce qui rassemble ces films, du moins ceux que nous avons pu voir, est la prise de risque dont font preuve la plupart des réalisateurs. En tête de lice, le fabuleux Tous à table d’Ursula Meier, tourné en deux nuits, caméra à l’épaule. Il relate un dîner d’anniversaire qui vire presque au drame lorsqu’une innocente devinette est lancée par un convive éméché. Dans un noir et blanc granuleux et servi par des dialogues savoureux, à la fois écrits et improvisés, on ne peut cette fois-ci s’empêcher d’y déceler un hommage à la Nouvelle Vague française mais aussi à l’humour grinçant et ironique des films de Tanner. Ursula Meier explique qu’à la suite de son premier court métrage tout en maîtrise, elle souhaitait lâcher les rennes et saisir au vif l’action qui se déployait sous ses yeux.
À noter également, le documentaire Hello Stranger de Thomas Ammann qui nous prend littéralement à témoin de la complexité de sa vie amoureuse, amicale et familiale, et ce dans les moments les plus intimes, grâce à des images volées au fil de sa vie avec une simple caméra DV. Ou encore le saisissant documentaire de Robin Harsch, La Petite Boiteuse, qui nous dévoile le crime passionnel dont sa grand-mère fut l’auteur, ce bout de femme douce et guillerette, qui s’adresse innocemment à nous en plan fixe pendant une fascinante demi-heure.
Un beau parcours que nous offre le festival de Brive. Un seul regret : on aurait souhaité que la parole soit donnée à ces cinéastes ou à un historien connaisseur en la matière afin de mieux appréhender cette génération émergente encore peu connue du public français.