À l’heure où un festival d’envergure comme Paris Cinéma met la clé sous la porte faute de subventions, la question du soutien aux événements cinématographiques les plus fragiles se pose plus que jamais. Si un rendez-vous aussi officiel que Paris Cinéma, longtemps présenté comme l’une des œuvres marquantes de la politique culturelle de la Ville de Paris sous les deux mandats Delanoë, n’est pas considéré comme suffisamment prestigieux et rentable pour être reconduit, en dépit de l’ouverture de la quasi-totalité de ses séances au public, que doit-on craindre pour d’autres rendez-vous encore plus confidentiels ? C’est notamment le cas du Paris International Fantastic Film Festival (PIFFF) qui, au terme de sa 4e édition qui s’est tenue du 18 au 23 novembre dernier au Gaumont Opéra Capucines, a séduit par une programmation curieuse et ouverte, organisée d’arrache-pied par une équipe bénévole et passionnée. Aucune aide de la Région Île-de-France ni de la Mairie de Paris pour ce festival-là, comme l’a rappelé son Président Gérard Cohen dans son discours d’ouverture, et pourtant : le PIFFF existe, creuse son sillon et tente de faire entendre sa voix, comme tant d’autres, pour faire connaître au plus grand nombre un cinéma à la marge, différent, qui se soucie peu des conventions et souvent révélateur de talents hors normes.
Transgenres
Au programme du PIFFF cette année, deux compétitions (longs et courts-métrages), des séances en avant-première (dont notamment Night Call de Dan Gilroy et R100 de Hitoshi Matsumoto), une nuit « invasion extra-terrestre » avec des classiques (L’Invasion des profanateurs de Philip Kaufman, Invasion Los Angeles de John Carpenter, Le Blob de Chuck Russell) et une rareté cultissime (Killer Klowns from Outer Space de Stephen Chiodo), quelques séances dites « cultes » avec un peu de vu et revu (Les Griffes de la nuit de Wes Craven pour son 30e anniversaire), un navet surestimé (Avalon de Mamoru Oshii) et surtout deux belles raretés : L’Homme qui voulait savoir de George Sluizer, qualifié par Kubrick lui-même en son temps comme « film le plus effrayant de tous les temps » et Wake in Fright de Ted Kotcheff, qui ressort en salles ces jours-ci. La simple énumération de ces films présentés hors compétition est suffisante pour percevoir la volonté d’ouverture d’un festival qui ne gagnerait pas grand-chose à se borner aux limites souvent floues du cinéma fantastique. Des films comme Night Call ou The Mole Song : Undercover Agent Reiji de Takashi Miike, présenté en ouverture et hors compétition, n’ont pas ou peu de rapport avec le cinéma fantastique tel que l’entendent certains puristes du genre. Et alors ? La formidable curiosité des programmateurs balaie tous les doutes : le PIFFF se veut avant tout un festival de découvertes qu’on pourrait qualifier de transgenres, et c’est bien suffisant pour aiguiser notre appétit.
Petites pépites…
En reculant un peu plus ses frontières, le PIFFF a clairement gagné en richesse. Après une ouverture catastrophique (on ne s’attardera pas sur le nanar hystérique de Takashi Miike, manga live indigeste qui ferait passer les films d’Albert Dupontel pour du Bresson), la compétition a su révéler une poignée d’œuvres étonnantes, et au moins un chef d’œuvre (on y reviendra plus tard). Œil d’Or de cette édition 2014 – au PIFFF, le seul jury pour les longs-métrages est le public – Spring de Justin Benson et Aaron Moorhead est pourtant l’un des films les plus faibles de la compétition : une histoire d’amour entre un jeune Américain et une belle Italienne aux charmes… vénéneux. La présence après la projection des deux très sympathiques réalisateurs, plutôt habiles au jeu de la promo, aura certainement été pour beaucoup dans l’enthousiasme démesuré du public pour le film, et son couronnement quelque peu injustifié au regard de certains des autres films présentés. Notamment le très efficace Housebound du Néo-Zélandais Gerard Johnstone : une comédie horrifique qui prend un malin plaisir à promener le spectateur dans les dédales d’un scénario à tiroirs qui virevolte du drame social au film de fantômes en passant par la comédie familiale, le slasher et le thriller. Ces mésaventures d’une jeune cambrioleuse assignée au domicile parental pour purger sa peine et confrontée à de curieux événements souffrent parfois de petites baisses de régime, mais le dernier tiers du film mérite à lui seul le déplacement : complètement fou furieux, toujours au bord de la parodie et pourtant mené de main de maître. Autre très belle surprise, Time Lapse de l’Américain Bradley King joue la carte de l’unité de lieu (deux appartements se faisant face dans une résidence) pour conter l’histoire – fortement inspirée d’un épisode de La Quatrième Dimension) de trois co-locataires (dont un couple) qui découvrent que leur voisin d’en face a inventé un appareil photo capable de prendre un cliché du lendemain… Malgré quelques ressorts scénaristiques convenus, le film déploie sa mécanique implacable avec un sens du suspense renversant et une conclusion aussi émouvante que glaçante : la vie, ça tient parfois à un simple bout de scotch…
… des déceptions…
Moins passionnant, l’espagnol Shrew’s Nest de Juanfer Andrés et Esteban Roel souffre de références trop encombrantes pour réellement surprendre : cette histoire de deux sœurs qui recueillent chez elles un homme blessé dans l’Espagne d’après-guerre sombre dans une horreur d’une terrifiante violence. Gros succès à l’applaudimètre, le film traîne pourtant un air de déjà-vu qui l’empêche de convaincre. Idem pour Starry Eyes des Américains Kevin Kolsch et Dennis Widmyer qui, en dépit d’un pitch aguicheur (une jeune actrice décroche une audition pour un film d’horreur, sans savoir ce qui l’attend au tournant) sombre un peu rapidement dans les effets faciles du gore et de la surenchère. Passons sur Alleluia du Belge Fabrice du Welz et Bag Boy Lover Boy de l’Américain Andres Torres (pas vus tous les deux) et oublions le consternant ratage de Kevin Smith présenté en clôture, Tusk, soit l’histoire d’un animateur radio aussi beauf que stupide qui, alléché par l’odeur du scoop, atterrit entre les griffes d’un vieux psychopathe qui entreprend de le transformer en… morse. On ne sait finalement pas ce qui est le plus effrayant dans le film : le héros métamorphosé ou bien l’apparition de Johnny Depp, méconnaissable sous des tonnes de maquillage et autres postiches.
… et une merveille
La vraie, belle et immense surprise du festival fut l’un des films les plus attendus et, si on s’en réfère aux commentaires entendus dans la salle en fin de projection, l’un des plus incompris : le splendide The Duke of Burgundy de Peter Strickland (Katalin Varga, Berberian Sound Studio), histoire d’amour SM entre deux femmes dans une époque et un pays indéfinis, portés par deux comédiennes aussi inconnues que formidables. L’une est le Maître, l’autre l’esclave, et pourtant, qui domine l’autre ? Au gré d’une mise en scène d’une beauté somptueuse, flirtant sans cesse avec le cinéma expérimental, Strickland malaxe son film comme une matière organique en jouant d’effets visuels et sonores ébouriffants. Grâce à un travail remarquable sur le montage, Peter Strickland parvient à rendre bouleversante cette liaison passionnelle qui détruit petit à petit l’une des deux concubines – la plus fragile n’étant pas forcément celle que l’on croit… On aurait volontiers donné le Grand Prix à cette merveille que l’on espère retrouver dans les salles en 2015, mais l’on saura gré aux sélectionneurs du PIFFF d’avoir bousculé les habitudes de leur festival… et de leur public. Espérons encore mieux pour l’édition 2015.