Fort de son ancienneté et d’une reconnaissance grandissante, le Festival de Cinéma de Gindou charme chaque année en réussissant l’alchimie entre programmation de qualité et esprit populaire.
Un écran, une nuit étoilée, une programmation exigeante et des rencontres avec des professionnels. Voilà ce que proposent les Rencontres Cinéma de Gindou, petit village lotois perdu dans la campagne. L’incongruité de ce lieu accueillant un festival de cinéma participe à l’attrait de cet événement de fin d’été, que les organisateurs, professionnels et bénévoles, dynamisent par leur enthousiasme. Vieux de vingt-trois années, ce festival est désormais le rendez-vous attendu d’un public éclectique d’autochtones, cinéphiles et professionnels, que les kilomètres à faire n’effraient pas plus que l’inconfort de l’installation de fortune et la fraîcheur des projections nocturnes. Cette année, la persévérance des fidèles a été récompensée par l’ouverture du Cinéma de Verdure, amphithéâtre en plein air de 650 places, bien plus confortable que les chaises en plastique de jadis. Cette modernisation ne signe pas pour autant l’abandon de l’esprit de convivialité et de simplicité caractéristique du Festival.
Après Jacques Rozier et Otar Iosselliani, c’est cette année à Aki Kaurismäki que les Rencontres ont rendu hommage. En journée ou en séances nocturnes, onze de ses longs-métrages ont été projetés, de ses premières œuvres (Crime et châtiment, Shadows in Paradise) à ses dernières (L’Homme sans passé) en passant par deux clips musicaux et son film muet, Juha. Pour accompagner cette rétrospective, Kati Outinen, son actrice fétiche, Illka Mertsola, son producteur et Nadjda Delcos, son assistante, sont venus dialoguer avec le public. Souvent cité dans le catalogue ou par les organisateurs, l’ouvrage de Peter von Bagh, Aki Kaurismäki, publié par Les Cahiers du cinéma et le Festival international du film de Locarno, a servi de texte de référence et enrichi pertinemment l’expérience vécue lors des projections.
Comme chaque année, la section « Vagabondages cinématographiques » vise à faire découvrir des films (courts et longs métrages) venus de tous pays, vingt et unes de ces projections étant des avant-premières (Le Mariage de Tuya de Wang Quan’an, Les Méduses d’Etgar Keret, Retour en Normandie de Nicolas Philibert, De l’autre côté de Fatih Akin, Choron dernière de Pierre Carles et Éric Martin…). En nous faisant voyager à travers le monde, ces films sensibilisent souvent à des problèmes socio-politiques. La prostitution (Le papier ne peut pas envelopper la braise, Rithy Panh), la révolution cubaine (Cuba, une odyssée africaine, Jihan el-Tahri), l’embrigadement forcé de jeunes soldats en Sierra-Léone (Ezra, Newton Aduaka), l’agriculture intensive (L’Assiette sale ou des OMI aux AMAP, Denys Piningre)… sont autant de thèmes choisis par les programmateurs qui font des Rencontres de Gindou un festival politiquement engagé. Dans le cadre de ce programme, nous avons pu voir en avant-première le bel État du monde, film collectif où Apichatpong Weerasethakul, Chantal Akerman, Wang Bing, Pedro Costa, Vincente Ferraz et Ayisha Abraham dressent six sombres tableaux du monde moderne, de ses victimes ou de son absurdité.
Partenaire du Festival depuis le début, la Cinémathèque de Toulouse accompagne l’ouverture du Cinéma de Verdure en choisissant pour thème « Architecture et cinéma ». Alphaville, Brazil, Playtime, À nous la liberté, quatre films qui privés de leurs décors ne ressembleraient plus à grand-chose, c’est ce que donne à comprendre cette programmation. Des courts métrages documentaires de Pierre Kast sur Le Corbusier et Jean-Nicolas Ledoux ainsi que Les Bâtisseurs de Jean Epstein ont complété cet hommage aux décorateurs par un hommage aux architectes. Carte blanche cette année à Serge Toubiana qui, présent lors d’une table ronde avec Christophe Gauthier (directeur de la Cinémathèque de Toulouse), a offert au public provincial l’occasion de rencontrer des films qu’il est difficile de voir hors des grandes villes. Avec Le père Noël a les yeux bleus d’Eustache, À propos de Nice de Vigo, La Rentrée des classes de Rozier, le premier épisode de La Maison des bois et les précieux courts métrages turcs de Pialat, c’est une veine descendant de Renoir qui a été mise à l’honneur. Ouvertes aussi au jeune public, les Rencontres ont présenté des films d’animation, et confirmé leur soutien à de jeunes cinéastes en projetant leurs premiers courts métrages.
Pour exigeante que soit la programmation, elle n’est pas le seul atout du Festival, qui mise aussi sur les échanges entre les artistes, les professionnels et le public. Entre deux séances, autour d’un verre ou avant un apéro-concert ont lieu des discussions (nommée « tchatches ») avec des membres de l’équipe des films projetés, animées par une personne du festival. Si l’on y parle aussi esthétique, production ou diffusion, la conversation s’engage souvent sur le terrain politique, notamment lorsqu’il s’agit des films engagés du programme « Vagabondages cinématographiques ». Curieux, plein d’admiration ou de conviction idéologique, le public profite de l’accessibilité et disponibilité des professionnels pour lui faire part de son enthousiasme.
La programmation n’est pas compétitive, l’objectif étant surtout de faire découvrir au public et d’assouvir ses désirs de cinéma. Le Festival a cependant aussi pour fonction d’accompagner le travail de création. Pour aider les jeunes réalisateurs, le Conseil général du Lot propose depuis cinq ans un concours de films courts (ouvert à un court-métrage de fiction tourné dans le Lot et à un documentaire) dont le lauréat reçoit la somme de 7600 euros (attribuée par un Jury de professionnels). Au mois de juin, des Ateliers résidentiels d’écriture (dirigés par le cinéaste Yves Caumon) encadrent l’écriture de scénario de jeunes auteurs, qui concourent ensuite pour le Prix du meilleur scénario d’une valeur de 15 000 à 20 000 euros. Pour la première fois cette année ont aussi eu lieu les Rencontres de compositeurs de musiques de films qui ont permis au public d’assister au travail de quatre musiciens composant à partir de scénarii.
Si pendant dix jours le petit village est en ébullition, les activités en faveur du cinéma ne s’arrêtent pas pour autant pendant l’année. Depuis 2004, l’association Gindou Cinéma s’occupe en effet d’accueil des tournages ayant lieu dans les départements du nord de Midi-Pyrénées. En aidant aux repérages, obtenant des autorisations auprès des services locaux, trouvant les figurants… elle participe à la réalisation des films et renforce les débouchés professionnels des techniciens et comédiens de la région. Gindou Cinéma mène aussi une action pédagogique au sein des écoles et des lycées, aide les professeurs à inclure le cinéma dans les programmes éducatifs en organisant les séances, intervenant dans les classes et formant les enseignants. Des ateliers pratiques permettent aussi aux élèves d’écrire, réaliser et monter des courts-métrages vidéo, projetés ensuite lors du Festival.