Dans Anima, réalisé par Paul Thomas Anderson à l’occasion de la sortie de son dernier album, Thom Yorke joue un quidam contraint de fuir une société dystopique où règnent les surfaces planes et les couleurs unies (manteaux gris, murs jaunes, aspérités absentes), qui n’est pas sans rappeler le monde normatif de Her de Spike Jonze. Ce clip musical déguisé en court-métrage est guidé par une trajectoire narrative aussi claire dans son tracé que dans sa symbolique : en tombant sur une petite mallette oubliée par une femme, qu’il va ensuite tenter de retrouver, le personnage trouve le moyen de briser la monotonie d’un monde aliénant.
C’est à travers les obstacles qui vont se dresser entre lui et la femme que le film fait face aux limites de cet élan narratif. À l’image de la musique électronique légèrement désaccordée de Yorke, le dysfonctionnement des portillons d’accès au métro induisent un premier dérèglement, freinant la progression du chanteur pour mieux contraindre son corps à sortir littéralement du rang, en s’animant. La suite des événements s’inscrit dans cette dynamique pour le moins récurrente dans le clip musical, là où le corps dansant est la plupart du temps mis en scène selon deux modalités à la fois opposées et complémentaires : la synchronicité et le contrepoint. Les corps désordonnés des anonymes qui entourent Yorke sur une grande toile blanche sont ici montrés comme un groupe organisé et chorégraphié (synchronicité), tandis que le musicien au centre de la scène s’inscrit puis s’extrait successivement de la chorégraphie en luttant contre le rythme imposé par la bande sonore (contrepoint). La fin d’Anima n’en est que plus attendue : l’homme ayant retrouvé la femme et atteint son objectif, les deux figures apparaissent pleinement accordées. Cette complétion salvatrice mais provisoire est suivie de l’assoupissement de Yorke dans un bus, instaurant in fine une boucle narrative : la monotonie peut reprendre son cours avant d’être éventuellement brisée par une nouvelle sortie de route, par laquelle les êtres parviennent à s’extraire momentanément de leur solitude. Si dans Phantom Thread, Paul Thomas Anderson avait déjà envisagé le dérèglement du couple et des individus comme la condition d’accès à un équilibre salutaire, le cinéaste en livre ici une version simplifiée, voire simpliste, en tout cas trop évidente pour y voir autre chose qu’un clip musical gonflé par le prestige de sa signature.