Avant de découvrir Beetlejuice Beetlejuice, on accueillait le projet avec beaucoup de réserve et de froideur, voire de méfiance. Pourquoi Tim Burton réalisait-il enfin cette suite écrite depuis plus de trente ans, maintes fois remaniée et déjà mise en chantier il y a une dizaine d’années, avec l’aval de Michael Keaton et Winona Ryder ? À l’instar d’autres films emblématiques des années 1980 récemment revenus des limbes (notamment Ghostbusters), la résurrection du fantôme exubérant incarné par Michael Keaton et d’une partie de la famille Deetz ressemblait à un aveu de panne sèche et d’incapacité à dépasser l’horizon si prometteur des débuts burtoniens.
La question de la redite, déjà posée avec Frankenweenie (qui adaptait en long-métrage un court de jeunesse du cinéaste), se présente ici d’emblée, mais ouvre sur un éclat et une joie que l’on n’avait pas vues depuis bien longtemps chez Tim Burton. Nouvelle venue dans la troupe burtonienne, Monica Bellucci est livrée au début du film en pièces détachées, comme les automates fabriqués par Vincent Price dans le générique d’Edouard aux mains d’argent. Ses membres, dispersés dans des caisses, se reconstituent sous nos yeux, accompagnés par le « Tragedy » des Bee Gees. Chaque partie de son corps, du visage aux jambes, est ensuite agrafée de façon sommaire, formant un prototype frankensteinien dont Burton se moque un peu, sans pour autant que son ironie n’entrave la beauté de la séquence et ne fasse écran à ce qu’elle énonce. Il est clair que le film s’attachera littéralement à recoller les morceaux et se rangera du côté des vieux, voire des morts (la façon dont Burton utilise la chanson de Harry Belafonte pour enterrer le personnage de Jeffrey Jones, l’un des grands absents du film, est assez émouvante), tout en hasardant un pas dans le monde des images d’aujourd’hui, avec ses smartphones et ses séries Netflix. Si la présence au casting de Jenna Ortega (consacrée par Burton grâce au triomphe de Mercredi) semble introduire du sang neuf dans un univers de fantômes sur le déclin (Wynona Rider offrant en quelque sorte une version décatie et gothique de la jeune actrice), l’opération de collage entre deux époques et deux formes de cinéma (Mario Bava d’un côté, les plateformes de l’autre) fonctionne dans un premier temps assez mal. La jonction avec l’épisode précédent, qui est toute l’affaire du film, met du temps à s’opérer et la teen romance s’amorçant entre Jenna Ortega et Arthur Conti est surtout là pour être plus tard battue en brèche, grâce au mauvais esprit de Beetlejuice.
Absent durant la première moitié du récit, le spectre farceur incarné par Michael Keaton emmène peu à peu tout le casting dans un upside world qui ressemble à un grand magasin de masques pour Halloween, avec Danny de Vito dans le rôle du concierge. Au-delà du clin d’œil, l’ex-pingouin de Batman, qui a évidemment sa place dans cet imaginaire folklorique, se présente comme les gardiens des clefs d’un univers que Burton semble lui-même retrouver, notamment dans les scènes musicales. Que ce soit sur les chansons de Richard Harris ou sur la soul de Donna Summer (ironiquement utilisée pour rythmer l’avancée du « soul train » conduisant les morts vers l’au-delà), le film gagne sur les deux tableaux : celui du spectacle et celui de la satire. Il semble même prouver par le spectacle que le consumérisme américain, que Burton connaît bien (il a œuvré pour Disney) a colonisé le monde de Beetlejuice : la comédie souterraine qui s’y joue est soumise aux mêmes lois économiques que dans le monde des vivants. Certains morts (les décapités, les démembrés) font ainsi figure de déclassés, tandis que d’autres (notamment la grand-mère Deetz) réclament des privilèges et des passe-droits, voire des bons d’annulation pour retourner à la surface. Cet horizon satirique, que Burton semblait avoir remisé depuis Mars Attacks, culmine dans une scène d’église entérinant le projet paradoxal du film : tout se recolle, la folie du dessous contamine le dessus, et la magie noire de Beetlejuice vient aspirer les spectateurs narcissiques d’aujourd’hui, dont les visages se déforment et se ratatinent. On pourrait déceler dans ce finale une forme de dédain à l’encontre du contemporain, mais il n’en est en rien : la conclusion joyeuse de Beetlejuice Beetlejuice organise au contraire un déluge endiablé et roboratif, dont les personnages ressortent revigorés. Nous aussi.