Dumbo est un ratage étonnant dans la carrière de Tim Burton, cinéaste certes jamais à l’abri d’un faux-pas mais dont le dernier film, le beau Miss Peregrine, et la perspective de retrouver l’inventivité d’Alice au Pays des merveilles, auguraient le meilleur pour ce nouveau projet de réadaptation d’un classique de Walt Disney. Le film commence d’ailleurs plutôt bien, avec un générique burtonien en diable où l’avancée d’un train annonce autant l’entrée dans un univers mirifique qu’elle ne permet le déploiement d’une écriture numérique fondée sur l’équivalence (l’intérieur d’un tunnel qui se pare des couleurs d’un chapiteau de cirque) et l’autonomie de la matière (la fumée qui tapisse l’herbe lorsque la locomotive s’arrête). Reste qu’il est éloquent que ce train, qui fait office d’élément déclencheur du récit, transporte non pas l’éléphanteau volant mais un forain revenu de la guerre avec un bras en moins (Colin Farrell) et qui aura bien du mal à s’occuper de ses enfants, tout juste orphelins d’une mère emportée par la maladie. Cet ajout narratif, qui en annonce d’autres (le film n’a de fait pas grand-chose à voir avec le dessin animé de Walt Disney) fait de Dumbo une figure proche d’E.T. mais aussi un personnage curieusement secondaire, dont l’apparition vient comme palier le double manque de la famille dysfonctionnelle au cœur du film. La séparation et les retrouvailles de l’éléphant avec sa mère permettent ainsi pour les enfants qui s’occupent de lui de dépasser le trauma de la perte de leur propre maman, tandis que la trompe joue astucieusement le substitut du bras perdu du père (métaphore très nette de son impuissance, dans tous les sens du terme – il retrouvera d’ailleurs un nouveau possible amoureux en la personne d’une acrobate qui montera l’éléphant).
Ce carcan narratif n’empêche pas de beaux moments articulés autour de l’animal, à l’image de la très belle scène de son apparition sous une botte de foin ou de ce que le film organise autour de son œil, surface où se reflètent et s’animent plusieurs formes numériques (feu, lumière, bulles de savon géantes roses, etc.), mais de manière surprenante le film ne fait pas de ce corps hors-norme son véritable pivot. Le récit s’articule plutôt autour d’un triple deuil (celui des enfants et du père, auquel s’ajoute celui du Monsieur Loyal du cirque où brille Dumbo, qui lui doit faire le deuil symbolique d’un frère-partenaire fantasmé) et d’une galerie de personnages caricaturalement burtoniens (le trio Danny DeVito/Michael Keaton/Eva Green, fidèles du réalisateur). On ne s’étonnera donc pas – tout en s’en attristant un peu – de voir par exemple DeVito dans son éternel rôle de tyran-bougon-mais-au-bon-fond apparaissant pour la première fois vêtu d’un marcel sale en train de vociférer contre un singe : malgré quelques beaux éclats, ce Dumbo témoigne malheureusement de l’imagerie figée dans laquelle s’enferme souvent le cinéaste.