Dans le générique d’ouverture du premier Batman, Burton faisait circuler sa caméra au cœur du célèbre blason en forme de chauve-souris, illustrant l’avènement du mythe sur grand écran par la révélation de son emblème. Prenant une direction opposée, le second volet s’ouvre sur le destin tragique d’Oswald Cobblepot, rejeton monstrueux et mal aimé né dans une famille aristocratique qui l’abhorre. Alors que son berceau est jeté dans une rivière, le voilà qui se transforme en un navire de fortune flottant en direction de l’obscurité. Il sombre finalement hors-champ dans les égouts, et l’écran se teinte de noir. Le générique à proprement parler débute, tandis que le cri de l’enfant retentit dans les profondeurs.

Styx
La trajectoire de cette corbeille en osier dérivant sur une rivière souterraine n’est rien d’autre qu’une préfiguration du sort d’un personnage rêvant de retrouver une identité humaine en même temps qu’une place à la surface. Après que le nom du réalisateur et des acteurs principaux se soient affichés, la caméra opère un panoramique vertical, révélant peu à peu une lumière vers laquelle le berceau s’achemine. L’enfant semble se diriger vers une libération, mais une nuée de chauve-souris se précipite soudainement vers lui. Progressant à contresens de la trajectoire de l’enfant, les créatures le survolent tel un mauvais présage. C’est que le Pingouin représente la naissance d’une nouvelle menace pour Batman lui-même : l’apparition de ce monstre authentique met à mal le mythe que s’est construit l’orphelin Bruce Wayne, et bientôt la population de Gotham n’aura plus d’yeux que pour cette nouvelle figure fascinante. L’homme chauve-souris se retrouve par conséquent relégué au second plan et ce dès la séquence d’ouverture. Le célèbre thème de Batman, entonné lors de l’apparition du nom de son interprète, Michael Keaton, se voit même englouti par le leitmotiv du Pingouin pour ne ressurgir que plus tard, sous une forme non plus épique mais menaçante, préfigurant le rôle trouble que jouera Bruce Wayne dans le destin de Cobblepot. Dès cette scène de baptême sombre, l’ombre du vengeur masqué plane sur la créature sans défense, à l’image de celle d’un roi de conte de fées averti de la naissance d’un prétendant légitime au trône.

Antéchrist
Si le personnage du Pingouin est incontestablement l’un des bad guys du film, Tim Burton donne pour autant nettement à voir au cours de cette séquence que sa tendresse lui est entièrement dédiée. Les mouvements de caméra semblent couver l’enfant, tandis que la musique d’Elfman se drape de la féérie d’un conte de Noël. Au moment où les familles de Gotham City célèbrent la naissance d’un enfant au destin providentiel, Burton nous maintient auprès d’un autre rejeton quant à lui maudit, qu’il guide avec douceur vers son destin tragique. L’accès à la surface comme à la lumière lui sont interdits par des grilles dont les ombres se projettent sur le berceau. Un fondu enchaîné recouvre même le panier par les eaux, en anticipation de son inexorable disparition dans les profondeurs.
Par la suite, un raccord brutal dévoile en plan large une ville aux formes urbaines inspirées par les architectures fascistes du début du XXème siècle. Un dernier banc-titre s’affiche : Gotham City – 33 ans plus tard. À la fois ultime descendant d’une aristocratie mourante et figure prophétique (33 ans étant l’âge du Christ à sa mort) qui endosse les douleurs de tous les monstres, Oswald Cobblepot voit son destin déjà scellé lors de cette séquence introductive : déséquilibré par un vol de chauve-souris, celui qui restera toute sa vie le Pingouin chutera de nouveau à la fin du film, à l’emplacement même où le berceau avait arrêté sa course.
