« Un film long et compliqué » cède sa place à un autre, « bref comme un geste ». C’est par cette formule que Bertrand Bonello distingue, dans une lettre adressée à sa fille au début de Coma, son nouveau film du tumultueux Nocturama, qui s’est vu fermer les portes des sélections cannoises en 2016 avant de connaître un échec commercial quelques mois plus tard. Tourné durant la pandémie de Covid-19, Coma suit l’errance mentale d’une adolescente dépressive jouée par Louise Labèque, déjà croisée dans Zombi Child, dont ce film-ci reconduit les limites (mélanger pour mélanger). Au milieu de fragments disparates qui composent ainsi ce film à tiroirs où se mêlent interfaces numériques, séquences en stop motion, citations de tweets célèbres de Trump et scènes d’épouvante en forêt sous influence lynchienne, Bonello convoque régulièrement un extrait vidéo dans lequel Gilles Deleuze insiste, avec son timbre rocailleux, sur le danger de se laisser emporter par les rêves des autres : « Même quand c’est la plus gracieuse jeune fille, c’est une terrible dévorante : pas par son âme, mais par ses rêves. Méfiez-vous du rêve de l’autre, car si vous êtes pris dans le rêve de l’autre, vous êtes foutus ! » Comme une voix venue d’outre-tombe, l’avertissement du philosophe revient à la façon d’un mantra pour expliciter l’horizon de ce film en forme de fuite pathologique dans « les limbes » du contemporain – auxquelles Coma renvoie de manière tout à fait incantatoire, sans chercher à les figurer autrement qu’en creux.
De la réception chahutée de Nocturama, Bonello semble en effet avoir retenu qu’on ne peut saisir le zeitgeist avec le zèle d’un esprit surplombant, au risque d’être pris à son propre jeu et de se retrouver piégé par les circonstances. Le cinéaste paraît ici, à l’inverse, naviguer à vue, en raccordant les pistes jetées en vrac par son personnage principal, avatar de sa propre fille, à laquelle Coma, comme Nocturama, est dédié. Difficile de savoir exactement où il veut en venir, lorsque se superposent par exemple, au sein du montage, les émissions de la youtubeuse fictive Patricia Coma, un soap opera auquel prennent part des figurines dans une maison de poupées et une sous-intrigue de serial killer inspirée par la trame et le dispositif d’Unfriended. Bonello mélange par là toute la matière audiovisuelle qui se présente à lui (il est justement question, dans l’une des vidéos de Patricia Coma, d’un mixeur), mais en définitive, circonscrit et balise la perdition de son personnage en la rattachant à ses propres tergiversations de cinéaste. En témoigne la structure cadenassée du film, qui s’ouvre et se referme par les mots que Bonello adresse à sa fille.
Coma a beau durer moins longtemps que son aîné Nocturama, il s’agit encore une fois d’un film « compliqué » malgré lui, où le « geste » de l’auteur s’apparente à une nouvelle tentative désespérée – car vouée à l’échec – de saisir une époque qui lui échappe.