L’enchaînement frénétique des projections dont Cannes est le théâtre donne parfois l’occasion au critique, entre deux scènes ou deux films, de se poser quelques questions de méthode. Par exemple, on s’interroge devant le nouveau film de Bertrand Bonello : à quel niveau l’écriture s’organise-t-elle ? Quelle serait l’unité métrique du film ? On serait tenté de poser l’hypothèse que Zombi Child repose avant tout sur une tentative de syncrétisme qui prendrait moins la forme d’un collage ou d’un montage hétérogène que d’une organisation un peu lâche au sein de laquelle macèrent différents éléments filmiques. Le film s’ouvre d’ailleurs sur la préparation d’une concoction magique qui constitue autant le point de départ du récit (elle aura pour effet de zombifier un personnage clef) qu’elle ne livre la clef de la démarche. Bonello compose son film en superposant des tonalités exogènes et des territoires distincts (de Paris à Haïti), le tout en suivant une chronologie serpentine (1962, aujourd’hui et 1980). Que vise le cinéaste et qu’échoue-t-il à atteindre ? Probablement, au-delà des sujets égrainés et survolés (le colonialisme, l’esclavage, etc.), un trouble né de l’interpénétration de différentes strates. L’évocation du vaudou se mêle ainsi à la peinture d’une petite sororité de la Maison d’éducation de la Légion d’honneur, tandis que le retour du corps zombifié est mis en parallèle avec la hantise amoureuse d’une jeune adolescente qui ne cesse de penser à ce beau garçon qu’elle se languit de revoir.
Il y a dans cet agencement de pans disjoints une réelle prise de risque qui va toutefois de pair avec une certaine naïveté : le film s’appuie implicitement sur le postulat que la rencontre des différents fragments qui le composent va produire une réaction. Cet horizon, qui rapproche le film d’une expérience chimique, explique l’entremêlement de bouts de fictions en apparence hétéroclites (l’errance nocturne d’un corps ramené à la vie, la mélancolie d’adolescentes qui écoutent Damso, un film d’horreur qui se prépare souterrainement), mais qui nourrissent une forme moins composite que surtout pluri-référentielle. Car le film convoque des fantômes, qui sont, comme souvent chez Bonello, de nature cinématographique : il en va ainsi de l’école, qui rappelle les pensionnats pour jeunes filles des films d’Argento, mais aussi de la scène « d’exorcisme » qui semble très nettement et maladroitement inspirée de certaines visions de la saison 3 de Twin Peaks. C’est que les séquences font essentiellement l’objet d’un travail de surface, à l’image de ces moments suspendus, où les adolescentes se prélassant dans les jardins de leur école, dont l’étrangeté ne tient qu’au choix de la musique qui rappelle certains thèmes de gialli. Zombi Child, en dépit de ses séduisantes intentions (mais c’est bien un vice cannois que de juger de la valeur des films au regard des gestes et des intentions de leurs auteurs), n’en demeure pas moins un objet atmosphérique qui se rêverait en grand film hanté.