Que penser aujourd’hui de l’œuvre de 1959 aux neuf Oscars dont celui du meilleur film ? Gigi n’est certainement pas le meilleur film de son réalisateur, Vincente Minnelli, qui a connu tout de même des heures plus flamboyantes et plus profondes que celles comptées dans cette adaptation gentillette, légère mais un peu vaine de Colette.
Certes, les chefs-d’œuvre ne pleuvaient pas lors de la 31e cérémonie des Oscars. Mais Gigi semble être aujourd’hui un peu faible pour apparaître au panthéon de la MGM. La première caractéristique de la nouvelle de Colette était sa légèreté, sa fantaisie. Et c’est peut-être la lourdeur des décors, la vivacité trop crue de leurs couleurs et la grossièreté du dispositif cinématographique qui frappent de prime abord. La reconstitution picturale, toujours centrale chez Minnelli, paraît ici plaquée sur des intérieurs engoncés dans l’abondance d’un goût plus ou moins suspect. Lorsque le film s’extériorise et s’offre une balade au Luxembourg et au bois de Boulogne, la caméra ne bouge pas davantage, lassant bien souvent l’œil de ses longs plans fixes. Quant au casting, là encore, il est difficile de s’émerveiller devant l’accent forcé, gouailleur et cabotin d’un Maurice Chevalier qui grossit absolument toutes les émotions. Il n’est pas le seul, pourtant, à rire à gorges déployées et à parler sans chanter : Louis Jourdan est élégant et gracieux, mais n’a aucune voix à apporter aux numéros de « chants » faiblards, eux aussi.
Un point positif, demanderez-vous ? Quelques-uns, tout de même. Leslie Caron, à l’origine du projet, incarne ‑à la place d’Audrey Hepburn- la fraîche Gigi avec conviction et légèreté. Gigi donc, est la dernière d’une lignée de femmes libres, célibataires, éternelles amoureuses, mais non mariées. Amie du propriétaire du PLM, le riche Gaston (Louis Jourdan), et de son oncle Honoré (Maurice Chevalier), Gigi attend l’émerveillement, s’intéresse à tout, et se désespère de l’étroitesse d’esprit des Parisiens énamourés et de sa tante décidée à lui inculquer les bonnes manières. Jusqu’au jour, évidemment, où la petite fille prend conscience de sa féminité et du port séduisant de Gaston. Peu importe l’intrigue elle-même qui commence, se déroule, et s’achève sans surprise. C’est lors de rares moments, précieux, que l’émotion apparaît : quand deux amants vieillissants partagent leurs souvenirs flous et semblent s’extraire du décor, quand le jeune Gaston découvre son amour et s’affranchit des poses et singeries comiques… bref, quand le film sort de lui-même et tente de montrer autre chose que sa superbe de carton.
La Belle Époque fantasmée ne réussit pas vraiment à Minnelli, on l’aura compris. Les séquences chantées versent trop dans le music-hall et le parlé, la faute aux interprètes mais aussi aux compositions originales un brin fades. Toutes les scènes qui devraient être enlevées paraissent immobiles, figées, et les éclats, comiques ou romantiques, forcés et répétitifs. Maurice Chevalier n’est ni Fred Astaire, ni Gene Kelly, et le Paris 1900 est cantonné à quelques clichés réducteurs. Difficile dans ces conditions de ne voir autre chose dans ce Gigi qu’un égarement qui se voulait hommage, ou un raté qui se voulait formalité chantée.