Autour de Vincente Minnelli, l’actualité en cette rentrée 2011 est chargée : après la sortie en librairie de l’ouvrage que lui consacre Emmanuel Burdeau (bientôt chroniqué sur le site) et une semaine avant l’apparition en DVD d’un de ses premiers mélodrames, Lame de fond, c’est au tour du méconnu et intriguant Thé et sympathie de faire l’objet d’une nouvelle exploitation en salles. L’occasion de le revoir est si rare qu’il serait bien dommage de ne pas prendre le temps de découvrir cette œuvre feutrée et mélancolique, mise en scène avec l’élégance habituelle du réalisateur des Ensorcelés.
À l’origine du film, existait une pièce de théâtre du même nom, écrite par Robert Anderson en 1953, soit trois ans avant sa transposition au cinéma. Le propos semble aujourd’hui assez inoffensif, mais fit pourtant couler beaucoup d’encre dans les années 1950 : un jeune étudiant ne se reconnaissant pas dans les démonstrations de virilité de ses compagnons de chambrée est suspecté d’homosexualité et trouve finalement l’amour dans les bras de la femme d’un de ses professeurs, elle-même victime des schémas sociaux. À découvrir le film aujourd’hui (qui fut même vivement critiqué dans l’ouvrage L’Homosexualité au cinéma de Didier Roth-Bettoni pour son soi-disant discours réactionnaire), il est troublant d’imaginer que Roberto Rossellini ait pu refuser de mettre en scène la pièce dans laquelle jouait sa femme de l’époque, Ingrid Bergman, parce qu’il y était question d’une homosexualité supposée, et que le film, pour ces mêmes raisons, ait fait l’objet d’une interdiction au moment de sa sortie sur les écrans en Grande-Bretagne.
Mettons donc de côté une polémique qui semble terriblement désuète aujourd’hui (bien que source d’informations sur l’évolution des mœurs) pour en venir au film lui-même, belle variation mélancolique sur l’interaction entre le désir et la construction d’une identité en marge des exigences sociales, thème hautement minnellien qui trouva probablement son plus bel accomplissement dans le sublime Celui par qui le scandale arrive. Ici, il est donc question de Tom Lee (interprété par John Kerr, sans lien de parenté avec l’actrice principale, Deborah Kerr), étudiant de dix-sept ans passionné par le théâtre et la littérature, d’une maladresse handicapante dès qu’il s’agit de toucher un ballon ou de jouer les vaniteux auprès de ses camarades lorsqu’une fille rôde dans les parages. À son discrédit, le jeune homme est pris en flagrant délit de passe-temps que d’autres qualifieront de peu virils : couture, essayage de robe, répétition de théâtre, etc. Autant dire que les rumeurs vont bon train dans les couloirs de la pension, même si le mot tabou n’est jamais prononcé (le Code Hays veille encore au grain).
La liste est peut-être un peu chargée et l’on peut convenir qu’on navigue en plein cliché d’une représentation de l’homosexualité qui, selon un vieil adage psychiatrique, voudrait qu’elle traduise une inversion (une femme dans un corps d’homme). Mais l’intérêt de Thé et sympathie ne se limite bien heureusement pas à ce schéma, car la mise en scène de Vincente Minnelli déplace le propos en marge d’un réalisme psychologique qui encombrerait certainement le discours des pires travers. À l’homosexualité supposée de Tom – et qui lui vaut le dédain de son père qui souhaiterait voir son fils briller dans des activités viriles – le réalisateur, s’il détrompe les attentes du spectateur et affranchit le personnage d’un doute initial, n’en réponds pas moins en célébrant, grâce à sa mise en scène, un raffinement et une élégance qui a presque valeur de manifeste dans l’univers de Minnelli. La violence des rapports entre les personnages y est toujours feutrée, non par déni, mais parce que le cinéma y est toujours investi de ce pouvoir de transfiguration d’un réel aux contours modulables à l’envi.
Et même si Tom finit par être lavé des infâmes soupçons (!) qui pèsent sur lui, il n’est pas anodin que ce soit dans les bras de Laura Raynolds, la femme de son professeur de sport interprétée en toute subtilité par la sous-estimée Deborah Kerr. Le rapport ambigu qui se noue entre les deux personnages (l’une pourrait être la mère de l’autre, tout en l’enveloppant de conseils maternels, le fait que les deux acteurs portent le même nom de famille n’arrange rien à l’affaire) ne donne pas l’impression de réconcilier le personnage principal avec une posture qui lui faisait jusqu’ici défaut. Au contraire, si le flash-back autour duquel l’essentiel du film est construit nous apprend que Tom a fini par se marier et par avoir des enfants, ce schéma d’intégration sociale reste en hors-champ, flou et abstrait. Tout comme l’échappée finale de Laura (peut-être l’une des premières cougars du cinéma américain), signe d’une soustraction aux conventions qui faisaient d’elle une victime, prouve que Thé et sympathie, derrière son titre apaisé et presque plan-plan, résonne comme un appel doux-amer à la liberté.