Il est journaliste sportif, elle est une modéliste réputée, ils vont vivre le grand amour malgré leurs différences de « goût » prétextes à toutes les chamailleries. Vincente Minnelli, plus connus pour ses comédies musicales mélancoliques et ses drames sur l’identité, a su aussi s’imposer comme un maître de la comédie. Si La Femme modèle n’atteint pas l’absurdité extravagante de Qu’est-ce que maman comprend à l’amour ?, le film reste un petit joyau d’autodérision où le couple vedette Peck-Bacall fait des merveilles. Warner en propose une édition de belle qualité d’où sont malheureusement absents les bonus.
Mike Hagen (Gregory Peck), journaliste sportif et célibataire endurci, rencontre la très élégante Marilla (Lauren Bacall), modéliste réputée. Ils ne vivent absolument pas dans le même monde mais cela ne les empêche pas de tomber éperdument amoureux l’un de l’autre dès la seconde rencontre, la première n’étant qu’un nébuleux souvenir pour Mike, trop soûl pour se souvenir qu’il avait payé la belle pour l’aider à écrire en urgence un article sportif. En un temps record, les deux tourtereaux se marient et emménagent ensemble, au risque de bousculer certaines conventions et de provoquer certains chocs culturels pour le moins savoureux. D’un côté, la modéliste s’épanouit dans les mondanités très collées-montées où l’on parle création artistique, de l’autre, le journaliste sportif aime les sports de combat, le poker et accessoirement se faire menacer par la mafia locale qu’il accuse dans ses articles de pourrir le milieu de la boxe. Chacun fait pourtant l’effort de se familiariser au monde de l’autre : Marilla accompagne son nouveau mari à un match de boxe où, devant la violence des coups reçus par l’un des compétiteurs, elle finit par hurler d’horreur ; moins violent, le défilé de mode auquel assiste Mike ne sera pas plus convaincant pour la solidité du couple. L’entrée inattendue de Lori Shannon, l’ancienne petite amie de Mike, dans la vie de sa nouvelle femme ne simplifie en rien les rapports déjà tendus des deux jeunes mariés.
La première idée de Minnelli dans cette comédie romantique très sophistiquée est d’avoir totalement inversé les rôles entre l’homme et la femme. Le journaliste sportif, évoluant dans un monde d’hommes assez rustre, est socialement bien moins élevé que sa nouvelle épouse chez qui il emménage finalement après avoir convenu que son appartement ne répondait pas aux aspirations de celle-ci. Dépossédé de son assise, l’homme se retrouve dans une situation de déséquilibre inhabituelle tandis que sa femme, élégante et posée, semble constamment maîtriser la situation de bout en bout. Ce désavantage prend tout son sens lorsque Mike en est réduit à devoir se cacher pendant plusieurs semaines dans un hôtel new-yorkais pour fuir la mafia, avec pour seule compagnie Maxie, un boxeur un tantinet abruti qui ne peut dormir que les yeux ouverts. Jusqu’à l’affrontement final avec la mafia, le mari reste en transit, pris quelque part entre le mensonge et la culpabilité d’avoir eu une autre femme auparavant. Lors de cette fameuse scène, Marilla perdra enfin sa supériorité lorsqu’un mafieux la poussera d’une manière très burlesque dans une montagne de cartons vides. Ce basculement marque paradoxalement la reconquête d’un équilibre pour le couple.
Mais ce qui caractérise probablement le plus la comédie selon Minnelli, c’est cette aptitude à l’autodérision. Dès l’ouverture du film, l’introduction des différents protagonistes, tous face caméra comme s’ils allaient nous confier quelque chose d’incroyable, moque surtout l’égocentrisme de chacun, persuadé d’être pris au piège d’une machinerie absolument impitoyable quand Minnelli se plaît à rappeler sans détour qu’il s’agit de querelles de couples finalement assez anodines. Gregory Peck, massif et d’un sérieux inébranlable, Lauren Bacall, élégante même dans les situations les plus ridicules, se prêtent malicieusement à cette farce de très bon goût où le raffinement des décors (et notamment des intérieurs) et l’intérêt pour la représentation (voir les scènes de répétition du spectacle auquel Marilla et Lori participent) sont autant d’échos aux chefs d’œuvre flamboyants de Minnelli, tels qu’Un Américain à Paris, Tous en scène ou encore Celui par qui le scandale arrive.