Aux nostalgiques du cinéma indé américain des années 1990, celui des polars granuleux qui suivent avec affection et empathie les destins cabossés qui errent dans les bas-fonds des métropoles, les frères Safdie réactivent avec Good Time (présenté à Cannes en compétition officielle cette année) les heures glorieuses de Sundance et de Miramax. Tout y est : l’image grossière, la caméra portée, les bras cassés au grand cœur et les seconds couteaux aux gueules inoubliables, New York débarrassée de ses oripeaux pour touristes et même, Jennifer Jason Leigh dans un second rôle. Est-ce à dire que Josh et Benny Safdie se contentent bêtement de reproduire un style que l’on croyait définitivement relégué à une période révolue, qui a produit quelques bons films et une avalanche d’avatars peu recommandables ? Good Time vaut un peu mieux que sa carrosserie peu rutilante, mais peine à décoller de son dispositif un peu trop schématique pour être réellement passionnant.
Le plus beau de Good Time, ce sont ses cinq premières minutes et ses cinq dernières, dépouillées de toute hystérie visuelle et de ressorts scénaristiques usés jusqu’à la corde, au plus près d’une vérité émotionnelle après laquelle tout le reste du film court désespérément. Elles montrent Nick, un jeune homme handicapé mental (Benny Safdie, en empathie totale avec son personnage, impressionne par la justesse de son jeu, défiant toute caricature), coincé dans un établissement spécialisé dans lequel il ne veut résolument pas s’éterniser. Tout ce que veut Nick, c’est retrouver Connie (Robert Pattinson, dans un rôle dont aurait probablement hérité Steve Buscemi il y a trente ans). Les deux se font la malle et s’en vont braquer une banque. Évidemment, l’affaire tourne mal et Nick, blessé, est envoyé en prison, puis aux urgences après une baston. Connie va tout mettre en œuvre pour retrouver son frère, au cours d’une nuit aussi rocambolesque que tragique dans les bas-fonds new-yorkais.
Plongée nocturne
L’interprétation de Benny Safdie place la barre si haut que lorsque son personnage disparaît, après une quinzaine de minutes, le film peine à s’en remettre. Les péripéties vécues par le personnage interprété par Pattinson offrent aux Safdie l’occasion de témoigner leur goût pour les aspects les moins glamour d’une ville que le cinéma américain contemporain préfère montrer comme un gigantesque parc d’attractions, plutôt qu’en elle-même. Mais Good Time ne réussit jamais à se débarrasser des atours les plus criards du cinéma duquel il s’inspire (volontairement ou pas) : une forme de frénésie formelle, qui se complaît dans la démonstration du sordide au détriment de personnages solides. Des anti-héros que l’on a le sentiment d’avoir déjà vus mille fois sans que jamais ils ne parviennent à être autre chose que de simples silhouettes, des ectoplasmes que paradoxalement la pellicule ne parvient pas à imprimer, faute de consistance. Qui trop embrasse, mal étreint, et Good Time aurait probablement gagné à resserrer son intrigue sur une poignée de personnages, plutôt que de tenter la fusion improbable entre le Scorsese de After Hours et les oiseaux de nuit de Cassavetes.
Le film s’offre malgré tout quelques fulgurances : l’abnégation totale de Pattinson ; une amusante confusion sur un accidenté recouvert de bandages, telle une momie, qui tire le film vers l’absurde ; une longue scène dans un parc d’attractions, décor à la fois cheap et riche en fantasmes cinématographiques, que les Safdie exploitent plutôt bien. Mais c’est un peu court pour débarrasser Good Time de ses encombrants habits de polar poisseux, et pour lui insuffler l’humanité dont il se revendique. Le dernier plan du film, très beau, laisse entrevoir ce que le film aurait pu être si ses deux réalisateurs avaient fait un peu plus confiance à leurs personnages et ne les avaient pas forcé à gesticuler désespérément dans le vide. Peut-être était-ce là leur propos, mais ce film-là a déjà été réalisé mille fois. Pourquoi vouloir le refaire ?