Professer une inconditionnelle affection pour Harry Potter n’est pas chose facile. La folie marketing qui entoure la création romanesque de J.K. Rowling et ses adaptations cinématographiques serait plutôt du genre à nous faire fuir à toutes jambes – en temps normal. Mais Harry Potter et la normalité, ça fait deux. 800 000 exemplaires du tome 6 (en français) vendus en 24h lors de sa sortie, 3 millions de spectateurs prévus pour la première semaine d’exploitation du numéro 4 en salles… rien que pour la France. Un phénomène (très georgelucasien) qui, évidemment, suscite de nombreuses interrogations et théories à n’en plus finir (sur l’adolescence, la mythologie du Bien et du Mal, le retour à l’enfance). Quant aux adaptations sur écran, leur succès croissant n’est sans doute pas totalement étranger à la qualité supérieure des derniers opus, Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban, réalisé par le Mexicain Alfonso Cuarón, et ce dernier-né, signé Mike Newell.
Harry grandit, au fur et à mesure des films et de ses années scolaires à Hogwarts (Poudlard en VF). Le voici âgé de 14 ans, toujours affublé de ses petites lunettes rondes, mais grand et élancé. Prêt à tenter de séduire la jolie Cho Chang, dont il est amoureux ou à affronter de nouveau Lord Voldemort, le terrifiant représentant du Mal, mi-Dark Vador, mi-Sauron. Les aventures d’Harry s’inscrivent cette fois très vite dans le côté obscur de la Force : lors de la sélection pour le Tournoi des Trois Sorciers organisé à Hogwarts, son nom est placé dans la coupe de feu par un malveillant inconnu, et le jeune ado doit participer malgré lui – il n’a pas l’âge réglementaire – à des épreuves qui vont mettre sa vie en danger. Dragons effrayants, sirènes maléfiques, labyrinthe monstrueux : J.K. Rowling n’a pas lésiné sur le spectaculaire, et Mike Newell suit le mouvement : le numérique aidant, le stade de Quidditch prend une dimension vertigineuse et époustouflante, les eaux boueuses du Lac Noir se referment inexorablement sur le spectateur et le gigantisme du labyrinthe l’étouffe.
Ce qu’on retiendra pourtant de ce nouvel opus, ce sont d’autres moments, où la magie se libère des effets spéciaux. Moments de comédie pure, retraçant les premiers émois amoureux d’Harry, Ron et Hermione (parfaitement interprétés), mal à l’aise dans leurs baskets, hésitant plus longuement avant d’inviter leurs camarades à danser que de se jeter à la poursuite de terrifiants sorciers. Moments d’ironie « british », où le réalisateur s’amuse avec des clichés : voir ainsi l’apparition des jeunes Françaises de Beauxbâtons, blondes et superficielles ; ou les Bulgares de Durmstang, brutaux et virils. Moments enfin de terreur pure, où Voldemort (Ralph Fiennes, méconnaissable) montre enfin le visage du Mal dans toute sa splendeur atroce.
Cette évolution suit bien sûr celle des romans de J.K. Rowling, inséparables de leur adaptation, plus sombre, plus adulte dès le troisième opus. La Coupe de feu, le quatrième tome, et l’un des plus longs, distille une angoisse et une énergie tellement palpables (la fin est l’une des plus traumatisantes jamais écrites dans ce registre romanesque) qu’on en vient presque à douter de la possibilité de transcrire cette ambiance au cinéma. Si le pari est plutôt réussi pour Mike Newell, plus fidèle au récit que son prédecesseur Alfonso Cuarón, il est certain qu’une méconnaissance des détails du roman peut entraîner une incompréhension totale de certains fils de l’intrigue. Le sens du détail, les enchevêtrements des différentes histoires si caractéristiques du style de J.K. Rowling manquent forcément dans son adaptation, et les fans trouveront à redire à l’éviction du personnage de Sirius, ou l’explication très évasive de la transformation du jeune apprenti de Voldemort en l’un des professeurs de Hogwarts…
Du roman au film : Harry Potter donne tout son sens à l’adaptation cinématographique, le passage au cinéma étant absolument indissociable de l’ouvrage original, d’autant plus que les films sont réalisés peu après la sortie du roman en librairie. Chaque spectateur est sans doute un ancien lecteur (sachant que la réciproque n’est pas forcément vraie), qui portera une attention particulière à chaque élément dont il a le souvenir. L’attention du metteur en scène se porte donc bien plus sur la caractérisation des personnages, leur évolution et leur psychologie que sur la réalisation pure – plutôt banale, sauf dans le lent passage des couleurs éclatantes du début aux couleurs sombres, tirant vers le noir et blanc, de l’apparition de Voldemort. Côté acteurs, le casting est plus que parfait, mention spéciale – comme toujours – à Alan Rickman en professeur Snape (Rogue en VF), et enfin à Daniel Radcliffe, incarnation déjà mythique d’Harry, qui endosse un rôle difficile − les autres personnages étant de plus en plus en retrait, il porte littéralement le film sur ses maigres épaules.
Harry Potter et la Coupe de feu ne réconciliera sans doute pas les sceptiques de la première heure avec les fans de la dernière. Mais Mike Newell, comme Alfonso Cuarón, a enfin donné quelques arguments aux cinéphiles défenseurs – un peu honteux tout de même – de leur sorcier favori. Vivement le numéro 5 !