Dans cette suite du premier Hellboy, Guillermo del Toro, affranchi des conventions hollywoodiennes qui le contraignaient un peu lourdement à introduire cet univers issu d’un comic-book culte, se lâche un peu. À l’instar d’un Burton qui imprégnait sa liberté créatrice acquise avec Edward aux mains d’argent sur le second Batman, le réalisateur mexicain apporte ici l’imaginaire élaboré dans ses films espagnols. Le résultat, bien qu’agréable à regarder, n’en demeure pas moins d’une sagesse caractéristique…
Suite et fin tardive de l’été hollywoodien consacré à la culture geek. Si Hellboy II ne nous parvient que trois mois après sa sortie aux États-Unis, il n’en clôt pas moins à merveille cette thématique. D’une part parce qu’il est l’adaptation d’un comics de Mike Mignola que seuls les bédéphiles avertis connaissent. D’autre part parce qu’il est mis en scène par Guillermo del Toro, réalisateur geek par excellence. Qui est Guillermo del Toro ? Un cinéaste de films fantastiques, mexicain mais dont l’essentiel de la carrière oscille pourtant entre Hollywood et l’Espagne. À Hollywood, il exécute des commandes basiques qu’il tente de valoriser par sa mise en scène dynamique (Mimic, Blade II, Hellboy). En Europe, il laisse libre cours à sa liberté artistique pour livrer des contes féeriques cruels sur fond de fascisme franquiste (L’Échine du Diable, Le Labyrinthe de Pan). Il est d’ailleurs pour beaucoup dans l’actuel renouveau du cinéma fantastique espagnol, ayant produit notamment le hit L’Orphelinat. Atypique carrière, pas inintéressante, mais qui bénéficie d’un culte légèrement surfait. Pour donner une idée de son esthétique, on pourrait dire que ses films se situent au croisement du cinéma de Tim Burton et de celui de Peter Jackson, entre vision baroque et flamboyance formelle.
Ainsi cet Hellboy classé deuxième et ces légions qui bien que toutes d’or n’en sont pas moins maudites est la suite, logique, de Hellboy. Dans ce dernier, Del Toro passait l’essentiel du temps du film à installer un univers et des personnages qu’il n’avait du coup plus l’occasion de vraiment exploiter. Il s’agissait en l’occurrence de Hellboy, démon envoyé sur Terre pour y ouvrir les portes de l’Enfer mais que les aléas de la vie auront dévié de cette destinée, faisant de lui un agent du département paranormal des services secrets américains dont l’existence est cachée au public. Grosso modo, Hellboy est la version mythes et légendes de Men in Black, qui officiait, lui, dans la science-fiction. Ces présentations faites, Del Toro compte bien avec ce second opus passer directement à l’action et rattraper ce qu’il n’a pas pu faire dans le film précédent, ce qui devient une habitude à Hollywood, où les films, souvent produits dans l’idée d’en faire une suite, ne sont plus que des introductions. L’univers de Hellboy est donc exploré ici de fond en comble, Del Toro déployant à loisir un bestiaire vertigineux où elfes, trolls, farfadets et autre divinité végétale s’entrecroisent, s’entrechoquent et s’entretuent. Nous sommes en plein imaginaire de jeu de rôle et le réalisateur mexicain profite allègrement des millions de dollars du studio Universal pour nous faire part de son talent de décorateur.
Car c’est bien de ça qu’il s’agit, plus que de cinéma à proprement parler. Entre lui, Burton et Jackson, le cinéma fantastique s’est vite mué en un exercice d’illustration où figures maléfiques et bienveillantes arboreront les visages que les réalisateurs auront bien voulu leur concocter en guise de signature. Comprenons-nous : depuis toujours le cinéma fantastique a joué sur les apparences de leurs créatures et l’atmosphère de leur décor mais, de Murnau à Browning, de Whale à Bava, ce que cachaient ces êtres macabres et déviants, c’était surtout une sexualité brimée, sous-jacente et obsessionnelle, impossible à aborder de front à l’époque. Le monstre s’était surtout le moyen de dissimuler les fantasmes refoulés aux yeux des censeurs : le déguisement et maquillage de l’acteur n’étaient autres que les oripeaux du sujet du film. Curieusement, alors que la sexualité est devenue tout de même assez explicite au cinéma, elle fut peu à peu évacuée des films fantastiques, troquée par une vague fascination fétichiste pour le déguisement et les décors eux-mêmes plutôt que ce qu’ils dissimulaient, jusqu’à les rendre aujourd’hui d’une chasteté qui leur donne un peu grise mine. Des derniers Burton aux Seigneur des Anneaux en passant par Underworld et les films de fantômes espagnols ou japonais, tout cela manque cruellement d’une petite touche de sexe qui, même infime, fait toute la différence entre le King Kong de 1933 et celui de 2006. Soit un gouffre.
Del Toro ne fait pas exception, et son cinéma, entre cruauté moralisante et ogre hideux, n’en demeure pas moins inoffensif, beau mais creux, une jolie coquille d’œuf peinte mais vide. Et tout le problème du cinéma décoratif, c’est finalement de ne pas aller bien loin, de ne pas transcender grand-chose. Les tentatives pour iconiser le héros par exemple ne fonctionnent pas, il lui manque l’incarnation, juste une petite pulsion charnelle entre lui et la caméra. Jamais, également, les faiblesses du scénario un peu ramollo ne sont surmontées, là où Sam Raimi réussissait brillamment à s’en servir pour exalter les désirs inconscients de ses personnages dans Spider-Man 3. Reste alors l’immense générosité du cinéaste, marque de sa geekitude, qui finit tout de même par séduire. Devant tant d’abondance, tant d’opulence visuelle qu’il a le bon goût de faire tenir sur moins de deux heures, il faudrait être bien exigeant pour ne pas concéder au réalisateur une certaine extase dans l’exposition de son imaginaire. Le bonheur innocent d’un enfant qui joue avec ses figurines, totalement immergé dans son univers, absorbé par ses rêveries. Il y a forcément là quelque chose de communicatif, un enthousiasme un peu béat et niais qui tel un Kinder surprise fait toujours plaisir même si on sait que le jouet qu’il renferme est un peu toc.