De Guillermo del Toro, cinéaste inégal mais parfois inspiré, on peut apprécier la veine joueuse et amoureuse du cinéma de genre – dont le tropisme vampirique (Blade 2 ainsi que la série The Strain) constituerait le modeste mais réjouissant sommet –, tout en grimaçant devant ses films plus empesés. Crimson Peak semble se tenir sur la brèche entre ces deux versants d’une filmographie qui souffle le chaud et le froid : à la fois pure rêverie fétichiste se fondant sur un canevas gothique archétypal (évoquant tout autant La Chute de la maison Usher que Rebecca) et vortex référentiel qui menace d’aspirer le film dans la boursouflure monumentale. Il tient en vérité un peu des deux : si l’on peut juger séduisante la modestie des enjeux et trouver son compte dans ce décorum bien identifié, le film ressemble tout de même dans les faits à une relecture de luxe des adaptations d’Edgar Poe par Roger Corman, le sérieux et la démesure en plus.
C’était déjà le principe de Pacific Rim : fil narratif minimal mais gigantisme des affrontements entre colosses, sur lesquels la mise en scène se focalisait. On sent bien que del Toro est ici moins intéressé par le mystérieux couple que forment Tom Hiddleston et Jessica Chastain, ou même par le visage cristallin de la virginale Mia Wasikowska, que par l’apparition de spectres numériques et l’édification d’un château gothique. Sauf que sur ce terrain, le film est un double échec : la mise en scène des apparitions, d’une lourdeur pachydermique, n’assume pas pleinement sa dimension foraine (la possibilité d’un atypique film romantique-train fantôme est bien là, mais l’imaginaire de del Toro manque à la fois trop de poésie et de singularité visuelle pour aller au bout) tandis que le manoir au sol ocre ne parvient pas à concrètement exister en tant que lieu de cinéma. C’est davantage une superposition de strates (étage – vestibule – cave), constitué de quelques décors identifiables mais peu exploités (la salle de bain, la cuisine, l’ascenseur), où défilent les scènes sans que la mayonnaise prenne.
Sans vie ni effroi
Au-delà de cet horizon du mausolée érigé en hommage à quelques idoles (dont Kubrick et son Shining, explicitement cité), le film peine globalement à susciter la moindre émotion ni à enflammer l’œil. Cette effervescence chromatique flirte certes avec un mauvais goût potentiellement appréciable, mais ni le récit ni les personnages ne semblent vraiment capables de prendre en charge la possibilité d’une bouffonnerie qui fait pourtant d’ordinaire le sel du style del Toro, jamais meilleur que lorsqu’il délaisse ses prétentions lyriques pour plonger dans le carnavalesque. Vitrifié, le film l’est aussi à cause de ses acteurs qui, à l’exception de la toujours parfaite Mia Wasikowska, entérinent la dévitalisation d’une trame pourtant ouvertement mélodramatique. Mauvaise idée, par exemple, que d’avoir opté pour Jessica Chastain, dont le jeu semble s’être raidi depuis ses belles apparitions dans Tree of Life, Take Shelter et Zero Dark Thirty, pour incarner cette sœur démoniaque pas très convaincante. D’où un film désespérément glacé, qui à la fois met à distance par sa dimension ouvertement réflexive (« ce n’est pas une histoire de fantômes, mais une histoire avec des fantômes » déclare del Toro par l’entremise de son héroïne) tout en tombant dans l’écueil d’un cinéma décoratif mortifère.
Pour autant, il ne faudrait pas étiqueter à tort Crimson Peak d’écrin vide, car il ne s’agit pas fondamentalement son problème : c’est surtout et avant tout un pastiche clinquant et surchargé dont les ornements ne sont, à aucun moment, vecteurs d’émerveillement. Hasard des sorties, le film apparait d’autant plus pour ce qu’il est, soit peut-être l’œuvre la plus faible de son auteur, au regard de sa proximité d’esprit avec The Visit, autre mélodrame horrifique aux enjeux minimalistes qui capitalise pleinement sur la toute-puissance de son style. À ce petit jeu, force est de constater que del Toro, jouissant pourtant d’une aura moins contestée et d’une position autrement plus confortable au sein de l’industrie hollywoodienne, ne tient pas une seule seconde la comparaison avec Shyamalan.