Hotel by the River fait partie des contes d’hiver de Hong Sang-soo, au même titre que Conte de cinéma, Matins calmes à Séoul ou encore Seule sur la plage la nuit, que le début évoque à travers un plan de Kim Min-hee seule au bord de l’eau. La jeune femme est aperçue par un vieux poète depuis la chambre de l’hôtel où, comme elle, il est venu trouver refuge. Le noir et blanc contrasté annonce d’emblée l’atmosphère flottante d’un film partagé entre ombre et lumière, mais aussi rêve et réalité. Dans le froid hivernal, les corps enveloppés dans d’épais vêtements se réchauffent aussi bien l’un contre l’autre qu’à travers l’alcool et le café : face à la rudesse du climat, Hotel by the River dégage ainsi une paradoxale douceur, accentuée par la blancheur laiteuse des étoffes et du paysage enneigé. L’hôtel devient un lieu de réconfort, où les personnages pansent leurs blessures, à l’image de la brûlure du personnage féminin, figurant la douleur plus profonde d’une séparation amoureuse. Si celle-ci s’étonne que des pies arrivent à construire leur nid dans de pareilles conditions, elle transforme pourtant sa chambre en un cocon où l’on entend même le bruit des draps qui se froissent.
Hong Sang-soo aborde ici la répétition de manière nouvelle, c’est-à-dire non plus au sein d’une structure en deux parties, où la seconde rejoue la première avec de légères variations, mais à travers l’histoire croisée des retrouvailles entre un père et ses fils d’un côté et de la réunion entre deux amies de l’autre. Les chiots évoqués dans une anecdote de jeunesse contée par la jeune femme réapparaitront ainsi plus tard dans le récit du père. L’employée de l’hôtel, qui reconnaît le poète puis Byungsoo, son fils réalisateur, et demande à chacun un autographe, constitue également une sorte de running gag à l’intérieur du film et plus largement de la filmographie de l’auteur, où la célébrité finit toujours par être démasquée. Le cinéaste se sert en effet de la répétition comme de ses personnages d’artistes pour dresser un autoportrait empreint de dérision et peut-être d’un brin d’inquiétude. Byungsoo ne sera ainsi pas épargné par son frère ni par les deux femmes qui le qualifient tour à tour d’« ambivalent » et d’ « ennuyeux ». La Femme qui s’est enfuie, le prochain film d’Hong Song-soo, fait d’ailleurs preuve du même sens de l’humour dans une scène particulièrement hilarante où un auteur se voit reprocher de raconter toujours la même chose.
Le cœur gelé
L’exploration de la relation père-fils est inattendue chez le cinéaste, qui travaille d’ordinaire plutôt les rapports hommes-femmes, bien qu’il en soit ici aussi question. Le poète impose immédiatement une distance en refusant à ses enfants l’accès de sa chambre et donc à une certaine intimité. Les images où il apparaît dehors, l’air heureux, pendant qu’il leur raconte en voix-off la raison de sa venue à l’hôtel, semblent quant à elle dire son désir d’être ailleurs. Le jeu de cache-cache entre intérieur et extérieur auquel les personnages se livrent tout au long du film résume bien les différents affects, entre besoin d’amour et de fuite, qui sont au cœur de leurs relations. Contrairement aux jeunes femmes, souvent rassemblées dans des plans larges, les trois hommes apparaissent à plusieurs reprises isolés au sein d’une série de plans rapprochés. Des lignes verticales (les portes et baies vitrées) et horizontales (les tables) dressent par ailleurs des barrières entre les personnages, qui ont du mal à communiquer. Alors qu’ils se disputent l’amour du père, les deux frères sont quant à eux presque toujours situés de part et d’autre d’une ligne centrale (un tronc d’arbre, le manche d’un parasol) séparant le cadre en deux.
Bien qu’assez léger par moments, Hotel by the River est sans doute l’un des films les plus mélancoliques du cinéaste, qui raconte ici sa propre vieillesse à travers la mort d’un poète. Si le thème musical empreint de nostalgie souligne le caractère sépulcral de l’ensemble, la caméra portée offre de son côté un écho possible à la fragilité du personnage. À l’image des jeunes amies, le vieil homme construit également son nid dans cet hôtel où il se prépare lentement à la mort et trouve dans une plante desséchée un miroir de son corps flétri. Au milieu de la noirceur humaine, dépeinte à travers d’impossibles rapports hommes-femmes et un énigmatique poème final, les deux femmes arrivent comme une bénédiction lui permettant d’entrevoir une dernière fois la beauté. Qu’elles soient enlacées dans un lit ou noyées dans la clarté d’un paysage virginal, leur apparition donne à chaque fois lieu à des « tableaux » délicatement composés. Si les sentiments changent de manière inexplicable, à l’exemple du patron de l’hôtel dont le cœur cesse de « trembler de respect » devant le poète, la vie peut elle aussi suspendre brutalement son cours. Dans cet hôtel au bord de la rivière, ne restent alors plus que les larmes et les cris.