Son chapeau, son fouet et sa cicatrice sous le menton, pas de doute, Indiana Jones revient sur les écrans pour réjouir toute une génération de jeunes adultes nourris à ses aventures. Mais c’est aussi pour Spielberg l’occasion de revenir à ce qu’il sait faire de mieux, le divertissement familial (dans tous les sens du terme), ce qui lui permet de réaliser son film le plus sympathique et le moins pompeux depuis… Indiana Jones 3 !
Parmi la pléthore de projets destinés à contenter les geeks (plus que le grand public) qu’Hollywood nous balance tout au long de cet été, le quatrième opus de la saga Indiana Jones était, de loin, si ce n’est le plus attendu, au moins le plus inespéré. Imaginez donc la réaction des fans du monde entier en apprenant que vingt ans après ses dernières aventures, le célèbre archéologue allait enfiler une nouvelle fois sa panoplie de héros iconique sous les traits d’Harrison Ford. Pourtant, depuis sa projection à Cannes, le film divise. Manque de rigueur scénaristique et superficialité pour les uns. Réalisation spectaculaire et fidélité aux épisodes précédents pour les autres. Qu’en est-il vraiment ? Un peu de tout ça en vérité : il vaut bien, pour le meilleur et pour le pire, les premiers épisodes de la saga. Les facilités dramatiques, propres au genre du film d’aventures, régissent toujours l’histoire pour la mener à l’inexorable fin abracadabrantesque (et ici particulièrement gratinée) et Spielberg mène la barque avec l’énergie et le brio qu’on lui connaît dès qu’il s’agit de filmer des scènes d’action et des effets spéciaux. En outre, le film ne pâtit pas du scénario un peu traîne-poussière du premier film (Les Aventuriers de l’Arche perdue, 1981) ni du ton bancal du deuxième (Indiana Jones et le temple maudit, 1985). Par contre, il ne bénéficie pas de l’atout majeur du troisième (Indiana Jones et la dernière croisade, 1989) : Sean Connery, qui apportait le contrepoint nécessaire à tout mythe et la touche de sex appeal qui fait si cruellement défaut au cinéma de Spielberg.
Car concernant ce dernier, le voir réaliser avec autant d’application mimétique un nouvel Indiana Jones aujourd’hui, donc après la « maturation » de son cinéma qui s’est hasardé à aborder des thématiques « sérieuses » et après l’assise définitive de son pouvoir à Hollywood (il est actuellement le cinéaste le plus puissant de l’industrie), c’est constater à quel point il a peu évolué. Comme si, de la Shoah au débarquement en Normandie, des dinosaures aux invasions extra-terrestres post-11-Septembre, rien, ou si peu, n’avait troublé les capacités du bonhomme. Il reste, quoi qu’il arrive, un filmeur surdoué, mais toujours autant dénué de personnalité, au style, finalement, assez peu reconnaissable, malgré de nombreux gimmicks. Il ne faut pas lui en tenir rigueur, c’est grâce à ça qu’il est si puissant aujourd’hui. Car avec un pur film de divertissement réalisé dans le but (avoué) de satisfaire les fans, il ne peut pas tricher. La noirceur et le propos solennel qui caractérisaient ses derniers films (de A.I à Munich) avaient beau séduire la critique (toujours friande de pessimisme et de visions désenchantées du monde), ils n’en restent pas moins des postures artificielles, au même titre que la mièvrerie disneyenne de ses précédents films. Le vrai rapport au monde de Spielberg, à base de phobie sexuelle et de misogynie (qui le rapprocherait d’un Hitchcock) est toujours refoulé, enfoui et rarement opérationnel (comme il peut l’être dans La Mort aux trousses par exemple).
C’est ce qui manque aux Indiana Jones, le quatrième du nom compris, pour passer du divertissement correct à l’excellence : une sincérité dans l’ignominie de son auteur. À voir ici Cate Blanchett en lesbienne sadomaso se dandiner avec un sabre dans son fourreau en guise de ceinture-gode, on se dit qu’il y avait pourtant matière à délirer. Eh bien non, la sagesse est de mise. C’est tout ce qui faisait le prix du Tigre du Bengale et du Tombeau hindou, les mètres-étalons du genre : une capacité d’abstraction qui rend les péripéties plus digestes et les sentiments des personnages plus authentiques. Un serpent chez Fritz Lang devient un prétexte à toutes les lubricités, là où Spielberg ne veut rien en faire d’autre qu’un running gag, n’assumant pas, ou difficilement, la peur de la castration de son héros (Indiana Jones a peur des serpents). Toute la différence est là : dans la capacité de l’un à nous ouvrir les yeux, et l’obstination de l’autre à vouloir les fermer. Le puritanisme hollywoodien a encore de beaux jours devant lui.