On pourrait facilement croire que le cinéma d’Emmanuel Mouret correspondrait à un badinage léger et peut-être même facile. Incarnant dans ses propres films un jeune homme sournois mais maladivement amoureux, le cinéaste a en effet tendance à utiliser les quiproquos comme des ressorts comiques destinés à jouer avec les aléas des sentiments. Pourtant, en choisissant la forme d’un film choral le cinéaste s’engage ici dans un changement inédit, risqué mais réussi, tant il parvient à décliner les facettes du sentiment amoureux avec amusement, subtilité, et parfois même mélancolie.
Faut-il s’étonner du fait que la séduisante Frédérique Bel choisisse de malmener son voisin Achille en repoussant (presque) éternellement ses avances ? Pas vraiment, si on reconnaît la familiarité d’Emmanuel Mouret avec une thématique qui semble avoir jusqu’ici dicté les contours de sa filmographie : la complexification de situations originellement simples. Qu’il s’agisse d’exprimer le sentiment amoureux ou d’en comprendre les enjeux, les personnages de L’Art d’aimer provoquent des situations maladroites comme pour mieux vérifier des postulats personnels en tout genre (tromper peut consolider une relation, jouer les entremetteuses n’est pas sans conséquences…). Ces diverses expériences amoureuses font surgir le comique de situation à partir de paradoxes. La stabilité du jeune couple incarné par Élodie Navarre / Gaspard Ulliel est ici ébranlée par la tentation de l’adultère, tandis qu’ Ariane Ascaride se découvre un désir incontrôlable et surtout transposable sur tous les hommes.
Le fonctionnement comique dépoussière donc quelques archétypes préconçus du couple afin d’ironiser sur la teneur des maximes qui chapitrent les saynètes de ce nouveau long-métrage. « Le désir est inconstant », « Il n’y a pas d’amour sans musique »… sont autant d’indications qui prétendent donner le ton de chaque épisode et insufflent un équilibre à cette galerie de situations à la fois cocasses et sombres. Car, contrairement aux apparences, ces intertitres ne sont pas les reflets d’une tradition littéraire ringarde mais instaurent d’emblée le film dans une perspective faussement naïve ; les maximes se font ici l’écho d’une leçon parfois grave, qui pousse les personnages à mettre perpétuellement à l’épreuve leurs convictions personnelles. Pourtant, Emmanuel Mouret évite l’écueil d’un ton faussement moralisateur grâce à un rapport sans cesse ludique et amusé par rapport à son sujet.
C’est pour cette raison que le cinéaste démontre une certaine récurrence dans son dispositif de mise en scène, qui le rend véritablement coloré et sentimental. C’est en privilégiant les plans-séquences qu’il élargit son champ d’action et institue le sentiment amoureux comme un passage perpétuel, capable d’exclure temporairement du cadre certains de ses protagonistes ou de mêler l’immensité du décor à un sentiment de solitude. La voix-off, tout en confortant la familiarité du cinéaste avec une tradition délibérément rohmérienne, offre une élégance inédite, qui unifie les différentes histoires dans un ton personnel, guidé par la voix de Philippe Torreton. Au lieu de simplifier la psychologie des personnages, la présence de ce narrateur renforce bien au contraire la sentimentalité du film et prête aux protagonistes une humanité convaincante.
Si l’interprétation reste bancale, avec une Judith Godrèche notamment peu à l’aise, ce nouveau marivaudage confirme la capacité d’invention de son réalisateur, qui parvient à jongler avec les références, les mots et les situations, démontrant par là-même la parfaite maîtrise d’un mise en scène enthousiasmante et convaincante.