Deux ans après Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, film aux allures d’œuvre somme, Emmanuel Mouret retrouve une forme de simplicité avec Chronique d’une liaison passagère. Cet apparent retour en arrière accueille cependant une nouveauté : le personnage de l’amoureux maladroit habituellement interprété par Mouret est ici incarné par Vincent Macaigne, expert en balbutiements depuis ses débuts (et surtout à partir d’Un monde sans femmes). Mouret jouait jusqu’ici toujours dans ses comédies mais restait derrière la caméra pour ses mélos. À la lumière de cette alternance jusqu’ici tacite, la légère bascule qu’opère ce nouveau film dit quelque chose de sa tonalité : comme certains des plus beaux films de Woody Allen, Chronique d’une liaison passagère est en réalité à la fois une comédie légère et un mélo discret. Le motif de l’adultère, centre névralgique de ce cinéma du discours amoureux, y est exploré avec une acuité renouvelée au gré d’abondants débats sentimentaux entre Charlotte (Sandrine Kiberlain) et Simon (Vincent Macaigne).
Prolongeant un style amorcé depuis son passage au scope dans Mademoiselle de Joncquières, Mouret élève au rang d’art le goût du travelling avant. Chaque occurrence de ce mouvement, marquant le surgissement d’une idée ou d’une prise de conscience des personnages, cultive une musicalité extrêmement précise. Cette perfection du tempo, on la retrouve dans l’ultime avancée de la caméra, sur le visage de Charlotte : le travelling est plus lent que les précédents, si bien que ce n’est plus une idée qui semble cette fois-ci s’affirmer mais une certitude, celle de la fin de l’aventure. Le titre du film, résigné, annonce de toute façon la couleur. Marqué du sceau de la finitude, le récit s’organise autour d’une succession de dates, inscrites sur des cartons que Mouret, contrairement aux apparences, distille sans suivre de règle précise. L’émotion peut ainsi surgir du placement de plusieurs encarts côte à côte, signifiant que les rendez-vous de Simon et Charlotte se multiplient, ou de l’absence de datation lorsque les personnages partent en week-end ensemble pour la première fois. Mouret ne précise alors que les jours (« le samedi », « le dimanche ») mais plus les dates précises, soulignant le caractère parenthétique et hors du temps de cette courte escapade.
L’affaire se corse avec l’apparition d’un troisième personnage. Acmé comique du film, l’arrivée de Charlotte et de Simon dans la maison moderne de Louise (Georgia Scalliet), à l’occasion d’un rendez-vous convenu pour tenter l’expérience d’un plan à trois, ouvre sur une scène diluée dans le temps où Mouret témoigne d’un véritable génie de l’embarras. C’est que, contrairement à la situation mourettienne classique de l’homme gêné face à une femme hardie, Simon et Louise, qui se connaissent à peine, multiplient tous deux les stratégies visant à repousser le moment fatidique. Face à eux, Charlotte, imperturbable, préfère accélérer le mouvement. Dans ce jeu de reconfiguration des forces en présence s’ébauchent évidemment les contours d’un triangle amoureux. La dernière partie du film, bouleversante, s’attache à en explorer la complexité. La règle est connue : un triangle amoureux n’est jamais aussi beau que lorsque l’une de ses pointes s’efface d’elle-même, avec humilité et déchirement. La légèreté apparente du film est trompeuse, mais il faut attendre l’imparable épilogue pour que Mouret libère les larmes par le silence. « Quel bonheur, quelle douce joie, quelle chance d’être triste. »