Retour aux affaires de marivaudages pour Mouret, que l’on croyait sonné après le semi‑K.O. encaissé par Une autre vie. Semi seulement, parce que s’y jouait sur le tard un petit théâtre de la cruauté qui ajoutait une nouvelle corde à son violon, et semi surtout, parce que ce Caprice, sous ses airs de retour aux premiers amours du cinéaste, ne jette pas tout du flirt buissonnier qui le précède. Résiste cette façon de déchirer le film en deux, en prenant soin de ne pas ôter les fils de la cicatrice pour les laisser visibles. C’est que désormais, les marques se voient chez Mouret, lequel en vient même à creuser subitement (et un peu tardivement, une fois encore) son personnage à mémoire de formes d’un pouce de mélancolie. Un pouce pas plus, car le drame qui surgit dans sa petite mécanique n’a pas plus d’effet qu’un grain de sable, juste de quoi refléter l’abîme qu’il enjambe par pudeur. Seulement cette pudeur, contrairement aux films où l’amour se faisait plus abstrait (Changement d’adresse, Fais-moi plaisir ! et son ouverture cartoonesque), n’a ici plus rien de comique. C’est à la fois la limite et le seuil à franchir pour que s’épanouisse le burlesque conscient (comme on rappe conscient) vers quoi Mouret semble conduire son style.
À force de plonger, à la Rohmer, son alter ego d’écran dans les situations les plus farfelues (à titre d’exemple, la visite surprise au président dans Fais-moi plaisir ! offre un aperçu du genre de décor où Mouret aime planter ses poupées), il fallait bien que le chandelier de toute une génération de comédiennes (Marie Gillain, Virginie Ledoyen, Frédérique Bel, Judith Godrèche, Déborah François) tombe sous le charme d’une actrice. Soit l’histoire de Clément – le playmobil Mouret en costume d’instituteur, après l’espion, le prof particulier de cor, le prof de math, et le restaurateur de fresques –, célibataire bonne pâte qui, non content de filer le parfait amour avec la star de ses rêves, se fait mettre le grappin dessus par Caprice, tourbillon de bienveillance démentielle qui lui offre d’être sa maîtresse. Inutile de revenir sur les recettes d’un style qui a fait succès, si ce n’est pour dire combien depuis L’Art d’aimer, le comique de situation perd du terrain sur la joute verbale. Or, on sait que l’exercice en question y sert de ligne de démarcation entre les personnages qui vibrionnent, et ceux que le récit laisse se statufier à la marge. C’est tout l’art de Mouret : sceller dès son casting, la promesse d’une extinction et celle d’une éclosion.
La nouvelle star, c’est Demoustier
Pure image, duchesse perchée sur son piédestal, la beauté marmoréenne de Virginie Efira offre le contrepoint de raideur idoine à la pétulance d’Anaïs Demoustier. Au passage, saluons la malice d’avoir confié à la moins élastique des deux actrices le rôle de la star ; tant la beauté du film réside dans ce combat perdu d’avance mené par une jeune comédienne qui déborde de vie, contre la puissance imperturbable d’une image creuse – un sourire figé, celui qui traverse la carrière d’Efira de La Nouvelle Star à l’affiche de Caprice. Si bien que le récit rejoue moins le dilemme de la passion contre la raison, comme Clément persiste à le voir, que celui de la vie contre l’art. Mais là encore, les frontières sont poreuses : est-ce bien raisonnable de vivre dans un rêve ? Et si ce petit caillou coincé au fond de la charentaise était la clef de la vie d’artiste ? Le couple n’est-il pas un rêve de plus, et ce rêve, une cage comme les autres ? Après Jérôme Bonnell dans À trois on y va, c’est à Demoustier que Mouret confie le soin de renverser l’abscisse et l’ordonnée de la famille Ravensburger formée par Clément, son fiston, et l’actrice de ses rêves. Armée d’une sensualité équivoque, c’est à elle que revient cette année le rôle de mouche du coche de la comédie de couple. L’écraser était une bonne idée, si seulement son effacement eut creusé un vrai malaise. C’est pourquoi la confusion finale, pourtant classique chez Mouret, laisse ici un peu de marbre. En rabattant une leçon de couple sur la promesse d’un vertige, la petite morale faustienne qui en découle tombe comme un cheveu sur la soupe.
On pourrait croire que Mouret expérimente, mais le drame a toujours été au cœur de ses films : seulement il se contentait de l’effleurer à la périphérie, par le détour du comique, là où Caprice met les pieds dans le plat. Le hic, c’est que lorsqu’il fait surface, l’événement tragique n’a aucune épaisseur. Amenée comme un gag, la tentative de suicide de Caprice est bottée hors champ, dessinant pour le personnage un destin de Looney Tunes – la mort, abstraite, évoque celle des cartoons, qui après avoir chuté d’un ravin regonflent comme si de rien n’était. À vider ses personnages de tout volume (l’une image, l’autre cartoon, lui éternel Pierrot), le cinéaste ne parvient qu’à troubler partiellement son univers de coffre à jouets. Bref, on fait la fine bouche, mais une semaine après Robin des Bois, la véritable histoire et Les Gorilles, une comédie de Mouret, même indécise, demeure une dent saine dans la bouche cariée du rire français.