Daniel Radcliffe passant des griffes de Voldemort à celles de la Hammer, mythique compagnie renée de ses cendres ? La perspective a de quoi intriguer et susciter certaines expectatives. Mais celui qui joue le plus sa carrière dans l’affaire n’est peut-être pas celui qu’on croit… Passons vite sur le cas de l’ex-Harry Potter. Même au vu de La Dame en noir, il est trop tôt pour dire comment se poursuivra la carrière de l’acteur désormais adulte et débarrassé de tout engagement de longue durée, livré pour ainsi dire à ses seuls choix. Le bonhomme n’est pas dénué de potentiel ; il ne lui manque guère qu’un peu plus d’expression, mais d’abord de veiller à ne pas laisser traîner son nom sur tout et n’importe quoi. Pour l’heure, cette Dame en noir ne se prive pas d’attirer le chaland avec son appât. Outre le nom de la star en gros sur l’affiche (mention spéciale à la version française, absolument hideuse), sa première apparition dans le film le montre pressant la lame d’un rasoir sur sa jugulaire : effet choc garanti, le petit magicien est devenu grand, bien torturé et sans lunettes, qu’on se le dise. On ne peut qu’espérer pour Radcliffe que la suite de son parcours sache se passer, pour subsister, de ce type d’exploitation racoleuse (par contre-pied, comme ici, ou non) de débuts qui furent certes en fanfare, mais dont l’impact devrait être très vite limité aux rééditions DVD/Blu-Ray de Noël.
Pour être honnête, une autre carrière suscite un peu plus d’appréhension à la vue de ce film – pas celle d’une personne, mais d’une marque. Voir en 2012 un film frappé du logo « Hammer », ce n’est pas rien. On connaît le passé vénérable de la firme britannique dans le cinéma bis – notamment fantastique et horrifique – des années 1950 à 70 ; on connaît le style particulier de ses productions, entre contraintes des petits budgets incitant aux ruses esthétiques, raffinement aristocratique des tournages en studio et travail sur le terreau de l’impureté et de la transgression. Mis en banqueroute en 1979 (suite à l’échec commercial d’un remake d’Une femme disparaît…), la recapitalisation des studios en 2007 par le producteur John De Mol (cofondateur d’Endemol) et leur retour subséquent aux affaires s’avèrent au moins une bonne nouvelle pour un nom porteur d’une certaine idée du cinéma. En termes de qualité, pour l’heure, le bilan des débuts de ce renouveau (La Dame en noir en est le quatrième long métrage) est plutôt mitigé, entre un discutable remake de film de vampires postmoderne (Laisse-moi entrer) et un thriller à huis clos peu inspiré (La Locataire, qui réunissait la firme et un de ses acteurs emblématiques, Christopher Lee).
Du vieux avec du neuf et du vieux
On peut douter que La Dame en noir contribue à sortir de sa torpeur la marque prestigieuse, qui pourtant redouble ici d’efforts pour renouer avec ses racines. Adaptation d’un roman de 1983 qui en appelait lui-même à la tradition littéraire gothique du XIXe siècle, le film part à la rencontre des mânes de Bram Stoker et d’Arthur Conan Doyle, auteurs ayant suscité quelques œuvres marquantes de l’âge d’or de la firme. Soit, dans l’Angleterre post-victorienne, un jeune notaire (Radcliffe, donc) débarquant pour affaires dans un village peu hospitalier qui cumule suicides d’enfants en série, apparitions d’une silhouette féminine fantomatique et sinistre manoir au milieu d’un marais. Seulement, aux lieux communs du genre littéraire du dix-neuvième siècle remis au goût du jour du vingtième, cette adaptation ne fait qu’ajouter les tics de genre cinématographique eux aussi bien datés – du vingt-et-unième. Cela s’amorce dans un scénario typique de ceux qui n’ont pas confiance en un personnage de cinéma, en sa capacité à se définir au fil du récit, et par conséquent chargent d’entrée de jeu les leurs de bagages historiques qui piloteront et pèseront sur chacun de leurs pas. Le héros, qui dans le roman se démarque avant tout parce qu’il en est le narrateur « je » et rend ainsi plus empathique la transmission au lecteur de son témoignage, se voit donc forcément marqué dans le film d’un traumatisme préalable (il est veuf et ne s’en remet toujours pas) qui justifiera lourdement son obsession à élucider le mystère du village hanté, jusqu’au changement de la fin originelle en un twist qui, en voulant se faire ambivalent entre noirceur et lumière, se rend juste atrocement dégoulinant. Autant dire que même campé avec la bonne volonté de Radcliffe, un archétype aussi verrouillé, pesamment animé par l’écrit et les notes de scénario le concernant, rendu imperméable à tout mystère, a toutes les peines du monde à prendre chair à l’écran, soit à devenir un personnage digne d’intérêt.
L’autre signe que La Dame en noir, héritier putatif d’un savoir-faire vénérable, reste prisonnier des réflexes industriels de son temps est dans sa conception, tout à fait creuse et mécanique, de la peur au cinéma. Non que les films de la Hammer eussent réellement défini un standard élevé en matière d’épouvante ; mais ils se posaient en référence dans la création d’une atmosphère à la fois hors du réel et titillant les pulsions bien concrètes du public, invitant à la transgression et à suivre les chemins interdits, jusqu’au climax horrifique/cathartique. Or ce désir de voyage, d’emmener le spectateur hors des clous, quitte à s’y risquer soi-même, cette affirmation d’identité manquent cruellement aux artisans de La Dame en noir, trop occupés à appliquer des recettes d’efficacité aussi immédiate que superficielle. Le film ressemble en vérité à un décalque occidental de film d’horreur japonais, tant les clichés qu’il ressort machinalement répondent à ceux popularisés par les Ring, les Grudge et leurs suiveurs. Soit: une ambiance si glacée par l’esthétisme qu’elle laisse froid (à l’image de la première scène, un suicide au ralenti avec musique douce), un vague jeu de la caméra et du scénario avec des accessoires chargés d’histoire, des photographies trafiquées par le surnaturel, et en guise de frissons pour le spectateur, les effets ponctuels et épidermiques d’apparitions-éclair en gros plan qui font « bouh ! », appuyées comme il se doit par un sursaut musical. De l’horreur gothique reconstituée en un train fantôme des plus poussiéreux, lequel évoque irrésistiblement celui pris par un vestige du passé du cinéma pour rattraper, désespérément, le temps perdu.