Huit mois après la sortie de C’est l’amour, l’infatigable Paul Vecchiali, 86 ans, revient avec Le Cancre, un film qui met à l’honneur les femmes et les actrices, scrute la vieillesse et la mort et noue ses enjeux dramatiques autour de la relation entre un père et son fils. Le film ne se complait pas dans une gravité mortifère, et, comme souvent chez Vecchiali, parle de la vie et la mort avec facétie et un goût pour le jeu qui éclatent dès la séquence d’ouverture lorsque Laurent (Pascal Cervo), déguisé en braqueur, fait semblant de menacer son vieux père (Vecchiali) d’une arme à feu pour lui faire prendre conscience qu’il a besoin de son fils à ses côtés. Drôlatique dans son rôle de vieillard râleur, Vecchiali se met en quête de retrouver les femmes de sa vie, dont son premier amour de jeunesse Marguerite. Si le casting est remarquable et unique dans la manière qu’il a de figurer la vieillesse à l’écran, ce défilé d’actrices septuagénaires et octogénaires affaiblit néanmoins le rythme du long métrage, qui, à la manière d’un film à sketches, enchaîne des séquences de qualité franchement inégale. Au fond, il y a deux films dans ce Cancre : un premier entre le père et le fils, traversé par des fulgurances qui le rendent à la fois attachant et émouvant, et un deuxième sur la recherche d’un amour perdu qui par ses longueurs et ses dialogues laborieux génère un certain ennui.
Femmes Femmes
L’idée de voir Vecchiali entouré de toutes ces femmes qui ont marqué l’histoire du cinéma français, avec qui il a déjà tourné ou non était pourtant formidable. Théâtral, humoristique, joueur, musical, mais aussi nostalgique, le film rappelle bien sûr Femmes Femmes (1974), long métrage superbe sur les actrices avec des séquences en-chantées à la Jacques Demy, à qui Vecchiali rend un hommage appuyé dans Le Cancre. Cette fois-ci, avec l’âge qui est désormais le sien, Vecchiali filme la vieillesse, et sans fatalisme, décide de la chanter, de la danser, voire de la transfigurer lorsqu’il filme le visage de Catherine Deneuve. Cette représentation de la fin de vie, rare dans le cinéma français qui tend à habituellement à cantonner la vieillesse à un sujet de société, se tient justement dans le mot vie, qui anime ces personnages jusqu’au dernier souffle. Malgré cette belle idée, les séquences avec ces actrices, à l’exception de celle avec Édith Scob, tordante dans sa tunique de bonne sœur, paraissent laborieuses, pour ne pas dire décevantes, notamment à cause de dialogues trop écrits qui étouffent la mise en scène. C’est aussi le problème de ce genre de casting, où l’on guette impatiemment l’entrée de Mathieu Amalric ou de Catherine Deneuve, et où la multiplication d’apparitions trop éphémères empêche de développer durablement les relations entre les personnages.
La mort (et la vie) au travail
Le cœur du Cancre est réellement visible dans les rapports tumultueux et tendres entre le père et le fils. L’histoire qui s’installe sur le long terme, sur plusieurs années même, entre Pascal Cervo et Paul Vecchiali, prend des tours à la fois inattendus (lorsque Laurent trouve un père de substitution, plus jeune, en un inconnu), et décrit bien l’angoisse de la mort qui, paradoxalement, semble saisir davantage l’enfant que le parent. Laurent brandit son fusil, dès qu’un huissier semble menacer son père, comme s’il espérait pouvoir chasser la mort qui creuse les traits du visage de Vecchiali et l’affaiblit d’année en année. Cette manière dont le réalisateur filme la mort au travail, pour reprendre la fameuse formule de Cocteau au sujet du cinéma, ainsi que ce désir de vie et d’amour toujours intact, donne au film une profondeur pénétrante mais jamais lourde, à l’image du dernier plan à la fois serein et lumineux. Vecchiali avait sans doute besoin d’approcher la mort de biais, c’est-à-dire par le biais des femmes qui, bien qu’elles vieillissent et meurent elles aussi, apparaissent enveloppées de cet étrange halo d’éternité qui fait partie du mystère du cinéma.