On reste admiratif face au parcours de Paul Vecchiali qui, à 87 ans, continue chaque année de sortir un ou plusieurs longs métrages. Non pas admiratif en raison de son âge, mais parce qu’au long d’une carrière déjà bien remplie, le réalisateur de Femmes Femmes continue de réinventer son cinéma d’un point de vue narratif et formel, ainsi qu’en termes de production et de diffusion. À l’instar de Jean-Claude Brisseau, mais aussi de Jean-Pierre Mocky, ces cinéastes farouches n’en finissent pas de défendre leur indépendance, tels des marginaux éternels.
Prisonnier du mouvement
Devant s’appuyer sur des moyens techniques réduits, Paul Vecchiali accorde une attention accrue à la langue et à sa pratique par l’acteur, ce qui lui permet ainsi d’inscrire ses récits dans des cadres extrêmement resserrés. Car nul besoin de changer de lieux lorsque les mots des personnages font qu’un même endroit, paisible il y a encore quelques minutes, se retrouve sens dessus dessous suite à une conversation houleuse. Nul besoin de flashback non plus quand c’est également cette même parole qui, telle la spatule d’un archéologue, semble remuer des strates de temps et faire émerger à la surface ce qui avait été recouvert par les années.
Chaque film nous plonge donc ici dans un lieu unique, que cela soit la banquette d’un wagon dans Train de vies, ou une clairière pour Les 7 Déserteurs. Dans les deux cas, il s’agit autant d’un lieu que d’un segment temporel dans lequel les personnages se retrouvent malgré eux, comme momentanément en suspens et sans solution de repli. Ils se voient alors emprisonnés par le contexte, mais également par les mots de ceux qui les entourent, les questionnent, les jugent et les poussent à se justifier. Mais ces lieux resserrés reflètent finalement le drame d’une continuelle errance, d’une incapacité à se fixer. Le mouvement n’y est pas vu comme libératoire, mais comme révélateur d’une tendance à fuir, loin de tout ancrage communautaire, de toute responsabilité et de tout engagement.
Train de vies est à ce titre symptomatique de cet aspect fuyant, car nuls autres endroits que la gare et le train ne symbolisent autant le mouvement, l’éphémère et la solitude du voyageur. Le film suit le personnage d’une danseuse étoile depuis peu à la retraite, femme libre aux multiples aventures sentimentales et sexuelles, ayant toujours refusé de se laisser enfermer dans la structure traditionnelle du couple. On craint au début que le récit ne se complaise dans une forme légère et anecdotique, un petit théâtre joyeux dans lequel on retrouve les acteurs qui composent ces dernières années la famille Vecchiali. Si chacun semble dans un premier temps jouer sa partition, l’enchaînement de ces tableaux à la forme identique crée pourtant un mouvement qui installe une atmosphère étouffante et tragique. Les scènes ne se suivent pas comme autant de blocs, mais s’additionnent lentement mais sûrement, dans un processus prenant à revers le personnage principal. Malgré un dispositif radical, le film adopte une progression linéaire somme toute classique. La forme ne joue pas avec elle-même, et demeure en définitive au service de l’humain et des aléas du cœur.
Exister par la parole
On ne peut qu’apprécier de voir un auteur refusant autant le naturalisme, la parler-vrai et l’effet de réel, et ne pas se brimer lors de l’écriture des dialogues par peur d’une approche trop littéraire. Si cette langue est avant tout là pour exprimer ce que les personnages ont sur le cœur, le cinéaste refuse pourtant de laisser ces affects se déverser sans garde-fou, préférant au contraire travailler et ciseler ce magma de paroles à la fois classique et populaire, désuet et moderne, raffiné et volontairement grossier.
Mais avec Les 7 Déserteurs, cette place accordée aux dialogues et monologues s’avère plus problématique. Le film réunit dans une petite clairière un ensemble de personnages fuyant pour diverses raisons un conflit militaire non identifié dans l’espace et le temps. Ainsi, ce n’est pas une guerre particulière qui est ici montrée, mais bien l’universelle et intemporelle détresse de l’humanité prise dans les mailles de la destruction et de l’exode. Ces différents personnages décident alors de se présenter et forment une ronde dans laquelle chacun est invité à prendre la parole. Mais cette entame a quelque chose de trop frontal, et ces mots censés camper un par un les protagonistes finissent par les étouffer sous un flot de caractérisations. Il nous est difficile alors d’identifier et donc de s’attacher à ces hommes et femmes, de ressentir une véritable osmose entre la parole et les corps des acteurs censés l’incarner. Mais malgré ces défauts, le film, une fois achevé, nous laisse comme pensifs face à ce jeu de massacre sans échappatoire. À eux deux, Train de vies et Les 7 Déserteurs, modestes en apparence, offrent une vision tragique et désespérée de la condition humaine.