Difficile, au sujet du Concours, de dire précisément de quoi ça parle. Il y avait pourtant matière à méditer, puisqu’il dévoile les coulisses du prestigieux concours de la Fémis, école publique de cinéma dont le mode d’entrée résume à lui seul le petit mythe entourant cette Star Ac’ des cinéastes de demain. Ouvert sans distinction de spécialité à tous les titulaires d’un bac+2, il a pour particularité de substituer à la préparation spécifique et au bachotage (baromètres de l’élitisme traditionnel) un recrutement « sur profil ». Avec son système notamment basé sur un dossier personnel d’enquête, la Fémis répond ainsi à une prérogative unique parmi les écoles d’élite : celle de sélectionner, parmi mille deux cents aspirants, un harmonieux bouquet d’individualités.
La société des affects
Joli sujet pour un documentaire, à condition d’avoir un point de vue. Soit justement l’ingrédient qu’il a manqué à Claire Simon au moment de cuisiner ce making-of totalement dépourvu de sagacité. Par chance (ou absence totale de suite dans les idées), le film manque tellement de recul qu’il se retrouve à radiographier l’objet dans tous les détails. On n’en demandait pas tant, même s’il ne nous apprend pas grand-chose. On sait déjà que la recette un peu étrange du concours de la Fémis, plaçant la personnalité (rien que ça) au premier rang de ses critères de sélection, s’appuie sur une vérité aussi simple qu’opaque : à savoir, que le cinéma n’est au fond qu’affaire de regard. Vérité dont découle la fameuse question de ce concours (et qui aurait pu être celle du film, puisqu’elle s’offrait sur un plateau) : comment, précisément, distinguer un regard ?
Respectant à la lettre sa feuille de route wisemanienne (un lieu, une institution, son fonctionnement), on croit d’abord deviner chez la réalisatrice un embryon de réponse. Confrontant deux regards désemparés — celui des jurés, et celui des prétendants — le film porte en miroir une même hésitation : les « serions-nous en train de passer à côté d’un cinéaste ? » répondant aux « que dois-je montrer, au juste ?… ». Mais rien ne transparaît vraiment de cette sympathique effusion d’hébétude, sinon la bienveillance d’un ancien membre de l’équipage (il n’est pas inutile de rappeler que Simon fut directrice du département réalisation de l’école). On croirait presque l’entendre nous susurrer son gentil plaidoyer : « bien sûr, le taux d’incertitude est important, mais comprenez, l’erreur est humaine… » La seule chose que Le Concours prenne la peine de mettre en évidence, c’est le doute : encombrant fardeau d’humilité venant opportunément disculper la Fémis du moindre soupçon d’autosatisfaction.
À la réflexion, Claire Simon tire donc bien le portrait de son candidat favori au petit jeu de l’égalité des chances : celui du concours de la Fémis qui, fardé d’un sentimentalisme très assumé, prend soin de se montrer sous son profil le plus humain. Sauf qu’au fil de sa compile de moments forts, le montage laisse échapper malgré lui l’évidente fragilité de cet échafaudage de contingences. Car sous prétexte de chercher un regard, et à défaut de savoir comment s’y prendre, le risque est grand de se laisser charmer. Témoins ces examinateurs de scénario dont l’expression passe de l’indifférence à la douceur quand, sitôt après la prestation d’un jeune homme un peu négligé, une jolie rousse raconte sur le ton d’une émotion un peu minaude son pitch tout aussi quelconque (sauf que, voilà, mademoiselle a l’étoffe d’une Maïwenn). Alors, regard ou coup de cœur ?
Un certain regard
Camisolé dans son impartialité de docu-vérité, le film se garde bien de se poser cette question. En fait, il ne s’en pose aucune. Sa vraie place n’est pas dans une salle de cinéma, elle est au CDI de l’école, diffusé à l’occasion des portes ouvertes en supplément des brochures — l’excellence comme si vous y étiez. Son enjeu est très simple (c’est le même qu’une vidéo institutionnelle) : il ne faut pas en rater une miette, quitte à ne rien regarder. Et Simon s’exécute, s’infiltrant partout, de l’épreuve écrite au grand oral, de la section scénario à celle des décors, comme une petite souris déboussolée. Manque hélas à cette notice touristique quelque chose d’essentiel, qui fait du coup l’énorme angle mort du film (de même que celui du concours) : la cinéphilie. Pendant les oraux, supposée acquise (comme si c’était une évidence), elle semble reléguée si loin dans l’ordre des priorités des jurés qu’on la croirait presque embarrassante. Surprenant, car de même qu’un sportif s’entraîne pour les besoins d’une performance, un regard ne s’affûte pas autrement qu’en se plongeant dans un autre regard de référence, qui est celui d’un cinéaste. Dès lors, à quoi sert ce jury d’experts, si c’est pour si peu parler de cinéma ? Paradoxe un peu ballot : le regard était le véritable sujet d’un film manquant totalement d’acuité.
Dans tous les cas, après « Le Meilleur Pâtissier », « La France a un incroyable talent », « C’est le bouquet » (à la recherche du meilleur fleuriste, oui oui ça existe) et « La Nouvelle Star », on préfère le dire tout de suite : même présenté par Nikos en prime time sur TF1, ainsi fagoté, Le Concours ferait pâle figure à côté des autres télécrochets.