Ce devait être un de ces nouveaux westerns des années 1960 où Hollywood dénonçait le racisme anti-indien. Un contre-emploi pour Audrey Hepburn. Une entrée fracassante d’un des piliers du film noir, John Huston, dans le monde codé d’un autre genre très américain. Les producteurs, qui voulaient en atténuer la charge idéologique, en décidèrent autrement, et le film ne plut réellement à personne, surtout pas à Huston, qui le désavoua vaguement. Rien à jeter pourtant dans Le Vent de la plaine, film étrange, au contenu parfois surréaliste, à la mise en scène sèche et maîtrisée. Un heureux « film mineur ».
Amateurs de cow-boys en action et d’Indiens en furie, passez votre chemin : il ne se passe (presque) rien dans Le Vent de la plaine, quoique la facture du film soit bien plus classique que celle d’un Huston ordinaire. Le cadre est pourtant bien rempli : l’arrière-plan n’est jamais laissé au hasard, permettant d’enchaîner les scènes avec une fluidité extraordinaire, comme lors de cette discussion entre mère et fille, où se profile, par la fenêtre de la maison, l’ombre d’un mystérieux inconnu annonciateur de mauvais présages… Présages dont l’on ne saura toujours pas grand chose au bout d’une heure de film : la révélation qui bouleverse la vie paisible de la famille Zacharie n’intervient en effet qu’après de nombreuses supputations, regards en coin et violentes confrontations.
Rachel (Audrey Hepburn, parfaite jouvencelle à trente ans passés) vit paisiblement avec sa mère adoptive et ses trois frères dans un hameau reculé de l’Ouest américain. Elle a une relation passionnelle et très ambiguë avec son aîné, Ben (Burt Lancaster). Quelques scènes de jalousie et un mariage avorté dans le sang plus loin, leur amour réciproque saute aux yeux, et n’attend que la révélation sur la filiation véritable de Rachel pour éclore au grand jour, dans une scène très pudique (deux baisers, dont l’un hors champ). Bizarrement, on ne peut se défaire de l’impression qu’il fallait, envers et contre tout, unir amoureusement les deux stars du film, tout en y mêlant un parfum de scandale. Le Vent de la plaine, ce sont des personnages profondément hustoniens plongés dans l’eau bouillante d’Hollywood : un contraste peu ordinaire, qui fait paradoxalement la réussite du film.
Sans ignorer le scénario, Huston s’en désintéresse cependant rapidement. On retient moins du film le « message » identitaire peu convaincant : Rachel abat au demeurant assez facilement, et sans ciller, celui qui se réclame comme son « frère de sang ». Quant à Hepburn, elle est moins crédible dans le rôle que lui attribue le scénario (nous nous refusons tout de même à le révéler) qu’en celui de petite sœur virginale amoureuse de son grand frère (certainement celui qui a le plus intéressé Huston sans qu’il puisse l’exploiter à l’envi). Le film se veut bien moins « pro-Indien » que d’autres classiques comme La Captive aux yeux clairs ou Bronco Apache. On est surtout saisi par un assemblage de scènes spectaculaires, telle l’apparition du cavalier vengeur, armé de son sabre de la guerre de Sécession et aux airs de fantôme (ne clame-t-il pas à qui veut l’entendre qu’il « ne peut pas mourir » ?), la poursuite du même cavalier dans la nuit et le brouillard par les frères Zacharie ou la joie enfantine de Lillian Gish jouant Mozart sur un piano égaré au milieu de la plaine, tentant de couvrir le bruit des menaçantes flûtes indiennes…
Le Vent de la plaine, par son ambiance surréaliste au goût d’inachevé, annonce un tournant radical dans la carrière de Huston : ses deux films suivants, The Misfits (1961) et La Nuit de l’iguane (1962) consommeront la rupture avec l’imagerie classique hollywoodienne.