Réunis dans un même DVD, Opération Hollywood d’Emilio Pacull et Let There Be Light de John Huston ont pour objectif de montrer en quoi l’industrie cinématographique américaine a toujours tissé des liens particulièrement étroits avec les guerres dans lesquelles se sont engagés les États-Unis. Si le premier film s’avère un peu trop démonstratif, le second, un documentaire réalisé par John Huston pendant les années 1940, est une véritable curiosité à redécouvrir de toute urgence.
À l’heure où le gouvernement américain s’enfonce dans un conflit irakien de plus en plus contesté, il est intéressant de voir quels rapports existent entre la production hollywoodienne et la géopolitique. Si, face au conflit irakien et plus généralement à l’administration de Bush, la mobilisation dans le monde du cinéma est réelle (George Clooney, Matt Damon, Steven Soderbergh, Sean Penn, etc.), la relation qu’entretient Hollywood avec les multiples conflits auxquels les États-Unis ont participé depuis près d’un siècle n’est pas née d’hier et subit même de profondes modifications. Cette problématique nourrit le premier documentaire du DVD, Opération Hollywood, réalisé par Emilio Pacull. Mais ce qui aurait pu être un film passionnant, qui aurait tenté de démêler tant bien que mal la relation particulièrement complexe qui lie Hollywood et le Pentagone mais aussi de démontrer les sentiments contradictoires que le public américain nourrit pour son armée surpuissante, n’est en fait qu’un exposé trop démonstratif et trop schématique, qui se contente parfois de ressasser ce que tout spectateur relativement averti sait déjà.
Si le réalisateur revient sur « l’effort de guerre » (période pendant laquelle Hollywood s’est mobilisé en faveur d’une intervention militaire en Europe et dans le Pacifique au cours de la Seconde Guerre mondiale) et l’implication de cinéastes tels que John Ford, Howard Hawks, Billy Wilder ou encore George Stevens (qui a filmé la libération des camps de concentration), Opération Hollywood s’intéresse surtout à la dégradation des rapports entre le Pentagone et les productions cinématographiques qui sont de plus en plus contestataires après l’échec retentissant de la guerre du Viêt-Nam. Alors que la réussite passée des troupes américaines (au cours des Première et Seconde Guerres mondiales) avait définitivement convaincu l’opinion publique que les États-Unis ne s’engageaient que dans des guerres justes, la guerre du Viêt-Nam jette un terrible pavé dans la marre, renvoyant au peuple américain son impérialisme agressif. Alors que le Pentagone s’est toujours montré coopératif pour prêter du matériel ou des hommes aux grosses productions hollywoodiennes, la rupture se fait très nette dès les années 1970 et s’amplifie au cours des années 1980 avec les succès publics et critiques de Voyage au bout de l’enfer (1978), d’Apocalypse Now (1979), de Platoon (1986) ou encore de Full Metal Jacket (1987). Si l’information n’a rien d’inédit, on sera encore moins surpris d’apprendre qu’en revanche, d’autres films tels que Top Gun (1986) ou encore Pearl Harbor (2001), qui n’a d’historique que le titre, ont par contre reçu l’entière bénédiction de l’administration militaire. Si cette tentative de dénoncer la désinformation totale dont le cinéma peut se faire parfois le relais est en tous points salutaire, elle aurait mérité un traitement beaucoup plus informatif.
Mais le véritable intérêt de ce DVD apparaît étrangement dans la rubrique des compléments. Réalisé en 1946, Let There Be Light est un documentaire à la fois poignant et passionnant sur les multiples traumatismes dont les soldats américains furent victimes à leur retour du front. John Huston, qui consacrera sa passion pour la psychanalyse et l’hypnose dans son très beau Freud, passions secrètes (1962), suit ici le travail d’un psychiatre qui tente de libérer les anciens soldats de leurs blocages psychologiques. Ces expériences sont précédées d’entretiens au cours desquelles les soldats livrent, parfois avec de grosses difficultés, leurs angoisses, leurs cauchemars ou leurs hallucinations. La volonté de Huston de rendre chacun des intervenants le plus anonyme possible (les noms sont effacés) donne paradoxalement un visage terriblement humain à tous ceux que l’on sacrifie pour mieux servir les intérêts du pays. Ici, aucun chiffre et aucune statistique ne viennent appuyer la démarche du cinéaste. Seuls les mots, recueillis par une équipe de psychiatres particulièrement compétents, ont leur place pour mieux dire – et du coup dénoncer – l’horreur de la guerre. L’idéologie américaine – et pas seulement elle – s’est toujours appliquée à faire perdurer l’idée de guerre propre (le plus bel exemple étant la guerre du Golfe en 1990) où la question du massacre humain était littéralement écrasée par l’objectif guerrier, forcément louable. Mais au cours de ces entretiens, jamais ne pointe le moindre sentiment nationaliste ou l’envie d’écraser l’adversaire. Seuls restent les souvenirs d’un camarade tué à quelques mètres, d’un frère disparu, d’une explosion ou encore d’un ensevelissement.
Les patients qui ont participé au documentaire souffrent de maux très différents liés au traumatisme de la guerre : bégaiements, tremblements, crises de larmes, amnésie, voire même une paralysie des jambes sont autant de signes lourds qui démontrent l’ampleur du traumatisme subi. L’équipe de psychiatres s’attache donc à ramener à la surface un ensemble de souvenirs particulièrement traumatisants pour que les patients puissent s’en libérer. De nombreuses expérimentations sont filmées, dont notamment la pratique de l’hypnose qui permet à l’individu d’extérioriser sa névrose pour retrouver un minimum de contrôle sur ses propres émotions. Les résultats sont sans appel, même s’il est bien évidemment rappelé qu’une pratique aussi courte de l’hypnose ne peut totalement régler la névrose. Interdit pendant plus de trente ans pour avoir montré les dommages psychologiques de la guerre, ce documentaire de John Huston reste certainement la meilleure raison de se procurer ce DVD.