Le troisième long métrage des frères Larrieu troque les Alpes pour les Pyrénées, tout en s’attachant à des questionnements qui leur sont propres : le couple, la sexualité, les troubles du corps après plusieurs années de vie commune, le tout immergé au milieu d’un paysage censé revigorer les êtres. Mais cette comédie qui se voudrait loufoque n’offre qu’un pâle objet mou, peu drôle, à la limite de l’insignifiant. Rarement les réalisateurs assument-ils leurs choix scénaristiques, semblent-ils en tirer le maximum, se cachant derrière l’intention facile et trop visible d’un film fait par et pour les acteurs.
Sabine Azéma en actrice nymphomane perdue dans les Pyrénées… Le gentil mari (Jean-Pierre Darroussin, lui aussi acteur) cherche à éloigner sa femme du tumulte de la ville et de la vie d’artiste, afin que celle-ci puisse se ressourcer et perdre cette mauvaise habitude au contact d’un paysage majestueux… Les Pyrénées, c’est beau, on y fait des randonnées ; les autochtones qui s’ennuient sont à l’affût des vedettes parisiennes névrosées, tandis qu’un ours venant de Bulgarie rôde dans les parages…
Au sortir de ce film, on se dit que l’on a vu, mine de rien, un certain nombre de personnages secondaires. Puis, on se demande quel était véritablement l’intérêt de leurs apparitions ? Pour entourer nos deux acteurs vedettes et étoffer un minimum le scénario, on comprend que les frères Larrieu aient souhaité suggérer un certain nombre de pistes, en cherchant notamment à jouer avec le contraste Paris/Pyrénées, célébrité/anonymat. Pourtant, tout ce qui va dans ce sens est peu développé, et les maigres situations et conversations sont à ce point pauvres qu’elles semblent vouloir échapper à l’insignifiance grâce à des pirouettes humoristiques plus ou moins drôles. On se dit alors que des cinéastes qui s’intéressent si peu aux personnages secondaires, censés peupler un décor et un scénario, et aux possibilités fictionnelles que ceux-ci peuvent apporter, considèrent que leur film se joue ailleurs.
Si les situations sont loufoques et les dialogues pétillants, le film des frères Larrieu manque pourtant cruellement de rythme et de piquant. Rarement font-ils un tant soit peu corps avec leur délire et le tiennent-ils jusqu’au bout. Peu aidée par un Darroussin assez inconsistant, Sabine Azéma ne peut à elle seule porter le projet sur ses épaules. Le film stagne souvent dans le creux de la vague et compte alors trop sur elle pour insuffler un peu de vie et faire redémarrer cette mécanique molle. Ces baisses de rythme s’avèrent être extrêmement préjudiciables, car elles fournissent des temps morts laissant trop la possibilité d’anticiper le délire au lieu de se laisser immerger par lui. Et en définitive, les intentions et la palette humoristique s’avèrent être du coup extrêmement prévisibles : l’humour tourne, tournera et reviendra de façon systématique autour de « la chose sexuelle », tout en ayant la prétention de vouloir émoustiller.
Plus que jamais, Sabine Azéma œuvre dans la catégorie fofolle hystérique omniprésente : cheveux en pétard, doigts dans la prise, névrosée gesticulant de façon grotesque et loufoque. L’étonnante discrétion de Darroussin, l’absence de véritables personnages secondaires, rendent sa tâche et son rôle non seulement importants, mais vitaux pour le film. Personne ne peut lui faire de l’ombre : la voilà seule face à nous. Dans une situation comme celle-ci, sans garde fou, une telle actrice, jouant dans le registre ultra-expressif, prend alors le risque de trop en faire et de se révéler plus assommante que drôle. Pourtant, il n’en sera rien ! Ces gesticulations n’atteignent jamais la saturation, c’est-à-dire qu’ils ne tombent pas dans une forme d’excès qui nous empêcherait de discerner les infimes variations de son jeu survitaminé. Le mouvement, aussi furieux soit-il, est toujours miraculeusement clair, comme décomposé, à l’instar d’un mime.
Les Larrieu paraissent être véritablement à l’aise une fois seuls avec le couple au milieu de la montagne. L’opportunité de faire des plans larges et longs dans une nature quasi déserte, leur permet de centrer l’attention sur deux corps dans un paysage, en laissant notamment Sabine Azéma emplir de ses gesticulations burlesques l’espace. Le reste du temps, les scènes regroupant plusieurs personnages semblent comme bancales et sans point de vue précis, œuvrant au plan par plan, sans grande conviction, voire même de façon gauche. A l‘inverse, la séquence avec les moines surprend, notamment parce qu’Azéma semble enfin avoir trouvé de véritables personnages pouvant donner le change à sa loufoquerie, et que quelque-chose se joue dans cette interaction. La fixité de certains plans à ce moment précis permet, pour quasiment une des rares fois du film, de faire passer le sens comique grâce à le composition d’une image, et non grâce à la lecture du scénario. L’idée d’une nymphomane surprenant trois moines nus se baignant dans un cours d’eau ne serait qu’une simple idée illustrant le prétendu sens comique subversif des Larrieu, si elle n’était pas portée par le plus beau plan du film, regroupant dans le même espace trois corps nus d’hommes immobiles dans un décor champêtre, tel une sorte de retable surréaliste. Et Sabine Azema, le visage immobile, irradie grâce à l’étrangeté de son regard et de ses cheveux en pétard formant comme l’auréole d’une folledingue.
Immerger le couple dans un milieu étranger à ses habitudes afin de le révéler à lui-même, voilà un programme classique depuis au moins Voyage en Italie de Rossellini. Mais qu’en est-il de ce couple ou de ce non-couple ? Difficile de véritablement sentir son poids et la profondeur de son histoire. Ainsi, qu’en est-il de ce film ? Un film sur des célébrités parisiennes dans les Pyrénées ? Un film sur la crise du couple ? Une pure comédie absurde et délirante ? Finalement, les errements de la mise en scène ne s’avèrent être que le révélateur du manque de pertinence d’une farce fade incapable de trouver de véritables points d’accroche.