Genre particulièrement peu usité en France − mis à part Haneke (Le Temps du loup) ou Abel Gance qui signe en 1931 le très bien nommé La Fin du monde − le film-catastrophe se réfugie habituellement sous l’égide de la bannière étoilée. Les Derniers Jours du monde rompt avec ce réflexe quasi intégré puisqu’il est de production française. Et chose encore plus exceptionnelle : il est de qualité.
Le mot résonne de mille traumatismes : Armageddon, Deep Impact, Volcano et autres Bruce Willis. De la testostérone en barre, des explosions de lave incandescente et des jeunes naïades à sauver : la formule est efficace. Les derniers jours du monde déroge à cette règle du spectacle pétaradant. Si quelques voitures explosent bien pour donner le change, l’intérêt n’est pas là. Il n’est pas à chercher non plus du côté de la figure du père, héros protecteur de la petite fratrie en cavale (Phénomènes, La Guerre des mondes…). Le film des frères Larrieu se préoccupe avant tout du personnage de Mathieu Amalric, de quelques personnages secondaires gravitant autour de lui et composant tant bien que mal avec une atmosphère de fin du monde, propice aux démantèlements de toutes les censures. Robinson n’est donc ni un père protecteur (il aime sa fille mais la laisse voguer sans lui vers une hypothétique île vierge), ni un héros en mission de sauvetage universel puisqu’il n’y a pas plus de voiture à soulever sous la pluie que de chien à sauver de la noyade. Ouf.
Tout ce que souhaite Robinson est de retrouver la trace d’une amante androgyne qui lui a fait commettre, jadis, l’adultère. Il va ainsi sillonner France et Espagne au milieu du tumulte et du chaos, presque sans sourciller. De la feria de Pampelune à la place du Capitole à Toulouse, le constat est le même, la planète offre ses derniers râles de pré-macchabée, les pluies flottantes de cendres duveteuses encombrent et empoisonnent les airs tandis que d’obscures terroristes sèment la pagaille aux alentours des villes. Signe de la désolation galopante, le gouvernement se réfugie à Toulouse, au moment où Paris se désertifie devant la menace d’une attaque nucléaire. On ne saura pas grand-chose des raisons de ces cataclysmes conjugués, si ce n’est que les sermons psalmodiés par Yann Arthus-Bertrand sont à la mode. Les frères Larrieu ont profité de ce contexte alarmiste mais ne l’ont cependant pas exploité ad nauseam puisque le propos du film n’est pas écologique ou benoîtement politique. L’atmosphère générée est très singulière, voire trompeuse : la clarté brillante de la photo tranche très souvent avec l’imminent désastre et ses cohortes de fumerolles grisâtres que l’on imagine avec crainte, de même que les exilés en haillons se confondent facilement avec de simples touristes en transit. Cette ambivalence ironique marque la volonté de miser sur une impression diffuse de menace et permet au film d’opérer une distanciation bienvenue face à la fascination de la catastrophe : plutôt que la monstration un peu obscène, les Larrieu vont s’intéresser aux à‑côtés, aux destins particuliers de quelques survivants en retrait, tout en croisant leurs pérégrinations avec l’avancée inexorable du chaos.
Là où un Roland Emmerich cartographierait minutieusement l’étendue d’un typhon géant sur l’Atlantique, les frères Larrieu se reposent sur un élément moins quantifiable : le corps humain. Celui de Robinson est restreint car muni d’une prothèse au bras. Celui de son amante Laetitia, maigre et filiforme, est tout autant objet de désir que de péril. Ceux de la foule s’éparpillent dans les rues où s’amassent sur les tables et les chaises, inertes, gris. Étranges scènes que celles enfilant sans répit les cadavres nus et rigides, ces corps entassés comme chez Géricault, émanations palpables d’une catastrophe presque invisible. À l’autre flanc des corps exposés, il y a ceux, tout aussi nus, de Robinson et Laetitia. Parfaitement vivants, désinhibés des impératifs sociaux, ils s’offrent tout entiers – et comme il est d’usage chez les Larrieu − à la luxure la plus spontanée. Ce mélange des corps, charnels et blêmes, tendus par le désir ou le raidissement cadavérique, offre un mélange fascinant, situant le film quelque part entre le conte horrifique d’anticipation et la ritournelle érotique pour le moins étrange.