Deuxième film musical français présenté au Festival de Cannes après Annette de Leos Carax, Tralala des Frères Larrieu est aussi le premier long-métrage monté grâce à la nouvelle bourse du CNC, « l’appel à projet de film de genre », dont la direction a été donnée en 2019 à Christophe Honoré. Comme le réalisateur des Chansons d’amour, les Larrieu s’inscrivent ici dans le sillage des grands de la comédie musicale : la villégiature à Lourdes et dans les Pyrénées de Tralala (Mathieu Amalric), troubadour hirsute amoureux de la Vierge Marie, n’est pas sans évoquer le village perdu de Brigadoon de Minnelli, tandis que les secrets de famille autour desquels tourne l’intrigue semblent tirés d’un Jacques Demy. Avec son scénario farfelu et sa troupe d’acteurs excentriques, Tralala s’abandonne à une forme d’indolence, qui peine cependant à convaincre dès ses (catastrophiques) premières scènes parisiennes. Dans des séquences d’une laideur confondante, les chansons de Tralala (composées par Bertrand Belin, Jeanne Cherhal et Dominique A) font résonner un message des plus naïfs : lorsque le chanteur fait un duo en français et en arabe avec un ouvrier, ce sont les frontières qui s’effacent grâce au pouvoir de la musique, tandis que la solitude des grandes villes est synthétisée par un plan du personnage esseulé devant l’Opéra Garnier. On saura gré aux Larrieu de tresser par la suite un dispositif plus intéressant, après l’arrivée de Tralala à Lourdes : pris pour un certain Pat, disparu depuis vingt ans, il endosse cette nouvelle identité et découvre le plaisir de ne plus « être lui-même ».
Le film s’avère plus réussi lorsque les Larrieu abordent la puissance du désir qui habitent les différents protagonistes. Bien que bigarré, le film est émaillé de beaux fragments tels qu’une litanie amoureuse de Mélanie Thierry chantée face caméra. Ces à-côtés du récit font tout le sel du film, lorsque le mouvement de l’histoire s’interrompt au profit du spectacle d’une harmonie généralisée, qui passe toutefois moins par la rigueur métronomique d’un ballet (il n’y en a aucun dans le film) qu’à travers une suite d’instants en apesanteur – exemplairement, les deux solos de guitare de Sébastien, interprétés par Bertrand Belin. C’est toutefois là qu’apparaît la limite principale du film, qui fait le choix de la surenchère plutôt que celui de l’épure. La trajectoire de Tralala s’encombre d’un récit parallèle superfétatoire autour de l’histoire d’amour vécue par Pat avec Barbara (Maïwenn). Évoquant assez nettement le souvenir des mélodrames du tandem Legrand-Demy, cette histoire de femme abandonnée et d’enfant sans père ne prend jamais tout à fait. La faute, d’une part, à l’interprétation médiocre de la réalisatrice de Polisse, mais aussi à un récit qui ne fait jamais le choix entre la bizarrerie généralisée et le goût pour des affects très « premier degré ». Improbable, le scénario n’est pas vraiment fait pour être pris au sérieux (cf. la scène où un prêtre chante « Jésus-Christ, mon amour » dans un café peuplé d’amoureux), mais vise dans le même temps un horizon mélodramatique voué au casse-pipe. En définitive, Tralala prouve qu’aborder un genre inhabituel dans le paysage hexagonal avec un grain de fantaisie est un geste peut-être audacieux, mais insuffisant : le pari du panache se fait au détriment de l’écriture, que ne parviennent pas à sauver quelques trouvailles visuelles réussies, mais un peu cosmétiques.