Enfermé dans une solitude suspendue à un premier amour perdu, Manglehorn, serrurier et grand-père, se traîne dans une petite ville du sud des États-Unis. À tous ceux qui l’entourent, il préfère son chat. Au moins ce dernier lui permet-il de se laisser aller à sa voix off, lecture des nombreuses lettres d’amour qui lui reviennent sans arrêt. Dans un registre comparable à celui de Prince of Texas, David Gordon Green étire les bases minimalistes de son récit, dangereux exercice où le déploiement de l’ennui risque aussi de perdre le spectateur.
Voix off
La voix off, que Green utilisait déjà dans son premier film George Washington, rappelle toujours celle de son maître texan, Terrence Malick. Ouvrant le film notamment, accompagnée d’une série de plans sur la ville environnante, elle tente d’introduire une certaine langueur, comme une personnalité bien particulière au Sud qui passerait par la méditation d’esprits portés à la contemplation. Ce désir de poursuivre et de construire une certaine tradition constitue bien une culture en soi que, même au cinéma, seule l’oralité permet de transmettre. Mais dans Manglehorn, cette voix off se fait plus subjective. Au lieu d’ouvrir sur une pluralité, elle renferme ici sur son personnage principal. C’est bien sûr le sujet du film : la solitude. Mais si elle permet d’y entrer, Green a ensuite du mal à faire exister ceux qui étaient habituellement intégrés par une narration plus omnisciente : ici un fils au sommet de sa carrière mais toujours à la recherche d’un père inexistant (relation père-fils que Joe faisait déjà apparaître), là un excentrique patron de bordel dont la présence restera assez énigmatique (Harmony Korine), et enfin une jolie banquière, possibilité de renouveau pour Manglehorn resté dans le passé. Tous ces personnages secondaires existent trop peu, puisque Manglehorn lui-même ne les envisage pas. C’est la limite du film qui choisit de se river au prisme de ce personnage persuadé du désintérêt de tout ce qui l’entoure, et qui finirait presque par nous en convaincre.
Croyance
Heureusement le film s’en sort in extremis en nous donnant accès à ce qui jusque-là nous était interdit. Au lieu de conclure comme on pouvait s’y attendre à ce que Manglehorn parvienne enfin à s’extirper de ses limbes nostalgiques, Green rajoute assez subtilement un niveau de lecture, très simple. On découvre, en même temps que lui (et c’est ce qui rend la chose d’autant plus intéressante), que cet amour auquel il se raccroche si souvent, n’a en fait jamais eu lieu. Manglehorn n’a jamais aimé cette femme. Il s’est plutôt persuadé lui-même de l’avoir aimée, pour construire un idéal qui lui permettrait de n’avoir jamais à s’ouvrir à personne. Manglehorn n’est donc pas l’histoire d’un renouveau, mais bien celle d’un homme qui commence sa vie à soixante ans passés. L’idée est belle ; elle referme le film sur une ouverture, sur la force des croyances qui permettent les premières fois. Ainsi on peut reprocher au film un crappy beginning ; mais réussir un happy ending est devenu chose rare.