On peut reconnaître à David Gordon Green le mérite de ne pas trembler devant ses classiques : après une trilogie dédiée à Halloween, il s’attaque maintenant à l’Exorciste. Donner suite au film original, cinquante ans plus tard, pose deux questions dont les tenants et aboutissants sont voisins : quel rapport Dévotion entretient-il au sacré, et par extension au film « culte » qui lui sert d’inspiration ? Friedkin s’attardait sur le personnage du père Karras, de son sentiment de culpabilité suite au décès de sa mère à sa vie quotidienne de prêtre. Les rituels d’exorcisme, qui étaient au centre du film original, ne vont cette fois pas de soi. L’église catholique, comme seule institution garante de l’action magique de l’exorcisme, s’avère défaillante : le prêtre intervenant dans le film est apeuré et incapable d’obtenir de la hiérarchie ecclésiastique l’autorisation d’exorciser. Et pour cause : à travers le personnage du pasteur, qui accompagne lui aussi l’une des familles confrontées à la possession, la figure du prédicateur renverse celle de l’exorciste. Par ailleurs, la galerie de personnages secondaires forme ici une communauté de croyants remplaçant l’église dans sa légitimité à mener un exorcisme.
Avec ce déplacement des repères religieux, où la question de la foi supplante celle du sacré, le mal à l’origine de la possession prend un nouveau visage. En témoigne le prologue, confrontant le personnage principal, Victor, à un dilemme impossible qui rappelle le prequel maudit que Paul Schrader avait imaginé pour l’Exorciste (Dominion : Prequel to the Exorcist, 2005). Le film de Schrader mettait en scène un épisode de la vie du père Merrin : prêtre dans le ghetto de Varsovie, il avait été contraint par les nazis à choisir quelques civils à exécuter pour sauver tous les autres. De la même manière, après un tremblement de terre à Haïti, Victor doit choisir entre la survie de sa femme enceinte et celle de l’enfant à naître. Dans les deux cas, les personnages déclarent ne plus croire en Dieu à cause du traumatisme lié à leur choix. Et cette absence de foi leur est renvoyée au visage par le démon, lors de l’exorcisme final.
Démons bavards
De la foi et des choix bien tranchés, c’est pourtant exactement ce qui manque à cet Exorciste version 2023. Gordon Green ne s’affranchit jamais de son écrasante référence. Il n’y a pas une, mais deux possédées : Angela, la fille de Victor, et Katerine, sosie de Regan et prétexte à une scène d’exorcisme menée par Chris MacNeil, le personnage de la mère dans le film de Friedkin, dont on se demande bien ce qu’elle est venue faire là. Le recours aux signaux référentiels (la présence de chiens dans le premier plan, comme dans le prologue irakien de la version de 1973), enferme le film dans un jeu de comparaison avec l’original. Et force est de constater que Devotion ne parvient pas à retrouver le sens de l’incarnation qui faisait la force du premier film. Le quotidien des personnages, peu nombreux, était observé patiemment, tandis que l’action se concentrait dans un espace fascinant : la chambre de Regan, avec sa fenêtre donnant sur les escaliers où le père Karras finissait par trouver la mort. Le film de David Gordon Green fait tout l’inverse, multipliant les lieux, les protagonistes et les ramifications narratives pour rattacher le nouveau film à celui de Friedkin. Montage et bavardage servent de béquilles à ce défaut d’incarnation. Les démons se manifestent à coup d’images subliminales, de jumpscares et de raccords signifiants, sous le regard de Victor, qui exerce le métier de photographe. Les possessions ne sont plus que des histoires de mots, de paroles démonétisées : le rituel d’exorcisme n’agit plus, les cicatrices d’Angela ne font que rappeler celles de Regan, et les sous-titres des épisodes de cette future trilogie (sous réserve de succès au box-office : après Believer devrait suivre Deceiver en 2025) s’empilent déjà sans grande conviction.