Adepte des changements de style, David Gordon Green alterne depuis le début de sa carrière les petits films indépendants et les comédies hollywoodiennes. Une alternance dans laquelle on a du mal à positionner ce huitième long, qui succède à Baby-sitter malgré lui. Le réalisateur aurait-il trouvé avec Prince of Texas la recette pour concilier les deux penchants de son cinéma ? Cette adaptation du film islandais Either Way offre un plaisant tableau du Texas et de ses blessures. Nous avions déjà vu et relativement apprécié Prince Avalanche à la Berlinale cette année, où le réalisateur et son film ont reçu l’Ours d’argent.
Attaché dans ses premiers films aux petits groupes masculins du sud des États-Unis, souvent confrontés à l’inattendu, David Gordon Green trouve une occasion parfaite en adaptant docilement l’anecdote du film islandais Either Way. Grâce à elle, il tente de rapprocher les deux versants de son cinéma – l’un à l’esthétique aride et la simplicité brute de ses paysages, l’autre plus conventionnel. En transposant l’isolement de deux ouvriers censés peindre les lignes et planter les poteaux d’une route de son cher Texas, il trouve le cadre idéal à l’exacerbation des symboles de son cinéma. Ces symboles sont incarnés aussi bien dans la fraternité mise en valeur que dans la représentation sensible et souvent picturale du paysage texan désolé.
Quoi de mieux pour cela, donc, que ces deux ouvriers – l’un étant le frère de la petite amie de l’autre – isolés dans les campagnes brûlées de 1988 ? Le réalisateur transpose facilement les routes retranchées et perdues de l’Islande aux zones abandonnées de son État favori. Aux tâches répétitives des deux ouvriers succèdent des conversations d’abord déséquilibrées, puis fraternelles (alors que Lance est jeune et insouciant, son aîné Alvin prend cet isolement pour une retraite presque spirituelle) qui font, à la façon du théâtre, avancer le propos de cette fantaisie. Au ton désabusé mais bon vivant et plein d’humour du film de Hafsteinn Gunnar Sigurdsson, David Gordon Green impose une sérieuse mélancolie (maisons dévastées et souvenirs détruits s’entassent sur le plan de travail d’Alvin et Lance). Seule touche personnelle de ce pur et simple remake, dont on s’amuse plus à chercher les différences que les rares éclats d’inspiration, cet attachement à l’espace est sans doute l’aspect le plus réussi du film. Il semble en renvoyer le réalisateur au cinéma si prometteur de ses débuts (George Washington, All the Real Girls surtout, et L’Autre Rive).
Au-delà de cet attachement à la terre, pas grand-chose de neuf. Difficile pour un film dont le propos est de faire naître, derrière l’obstacle des egos particuliers, un véritable et touchant sentiment de camaraderie. Outre le charme de sa couleur locale, en fait, Prince of Texas ne fait qu’utiliser l’argument d’un autre film pour l’enfoncer dans une nostalgie mystérieuse et malheureusement trop pesante. L’allégresse qui gagnait peu à peu, dans Either Way, les deux protagonistes aigris ou désabusés ne parvient jamais à allumer, sur le terrain trop fluide de Green, l’étincelle de la grâce. Elle touchait pourtant ses premières réalisations il y a dix ans, ou certaines scènes du film original. Charme tranquille et fable s’oublient donc vite avec ce Prince of Texas qui semble coincé dans un autre temps, coincé entre deux choix cinématographiques impossibles à fusionner.