Il y avait Laurel et Hardy, Starsky et Hutch, Murtaugh et Riggs, Jack Cates et Reggie Hammond… il y a aussi Bob et Sulli. Comment le yéti bleu turquoise et son acolyte cyclopéen sont-ils devenus les meilleurs amis du monde et la terreur d’élite de Monstropolis ? À cette question, le prequel de Monstres et Cie répond un peu scolairement. Normal me direz-vous, si l’on considère le décor de leur rencontre, sorte d’Harvard de la peur où on apprend à effrayer les enfants, la Monstres Academy. Si on ne boude pas notre plaisir à retrouver nos monstres préférés, il faut bien avouer que le film est un peu trop sage pour devenir le premier de la classe Pixar.
Quand certains gamins rêvent de devenir pompier ou astronaute, le petit Bob Razowski (Mike en VO) n’a qu’un rêve : apeurer les enfants et ainsi accomplir son destin de monstre. Problème : la minuscule boule verte flanquée d’un appareil dentaire n’a rien de très effrayant. L’être et le paraître, parfois, ne coïncident pas. Il parvient néanmoins à intégrer la Monstres Academy, prestigieuse université où l’on forme les terreurs de demain. Quand le studieux Bob se transforme en élève modèle, Jacques Sullivan le surdoué jouit d’un célèbre nom de famille de l’effroi qui suffit à attirer vers lui des regards admiratifs. Aveuglés par leur confiance, ils finissent par se faire renvoyer du programme, contraints de s’associer pour remporter un concours de fraternités afin de prouver qu’ils ont bien leur place à la Monstres Academy. Éloge du mérite et de l’entraide, le dernier Pixar parodie le film de campus et le buddy movie, quand Monstres et Cie retournait avec délice les codes de l’épouvante pour transformer l’enfant en chose toxique, effroyable machine à tuer.
Les films Pixar excellent à donner des leçons d’humanité au genre humain en son absence. Monstres et Cie rejetait l’homme dans un hors-champ nuisible qu’on ne pouvait pénétrer qu’avec prudence et excellence, à la faveur de portes qui ouvraient sur tous les possibles. À l’inverse de cet art savant de la fuite, Monstres Academy déploie sa narration dans un univers clos sur lui-même qui sied idéalement à l’instauration d’un monde parallèle imaginaire autant qu’il le scelle jusqu’à son accomplissement moral. Régi par ses propres lois, le campus est un espace de transition à la temporalité suspendue, une véritable micro-société autonome, ultra hiérarchisée, où chacun devra trouver sa place, qu’il mesure cinq mètres ou quelques centimètres, qu’il possède des dizaines d’yeux ou deux têtes, quelle que soit sa couleur. Le college movie devient le cadre rêvé à la bigarrure hétéroclite dont Pixar a toujours eu le goût (associant déjà, dans Toy Story, un robot et un cow-boy), portant sa joyeuse galerie dépareillée de Gloubinours polychromes et de personnages multiformes jusqu’à l’harmonisation des discordances. À travers les épreuves, les désillusions et les petits triomphes, l’espace utopique de l’université devient celui de l’expérience de la tolérance et de la fraternité, au risque d’une écriture schématique qui porte notre improbable tandem, prequel oblige, vers une cohabitation gagnée d’avance. De là un mécanisme scénaristique sans surprises, qui élimine peu à peu les autres fraternités pour porter les Oozma Kappa, gentils loosers menés par Bob et Sulli, vers une victoire obligée.
S’il est aussi parfaitement huilé que les Cars écrits par Dan Scanlon (aux commandes de ce long-métrage, en remplacement de Pete Docter pour le premier épisode), le récit lancé en mode automatique souffre un peu de l’absence de ces brèches poétiques qui faisait la magie gracieuse de Monstres et Cie. À l’image du petit Bob, Monstres Academy applique sagement la recette du buddy movie : un duo masculin que tout oppose, tant physiquement que moralement, mais qui va devoir s’entendre pour les besoins d’un scénario ficelé comme un rôti prêt à mettre au four ; de l’action pour rassasier le spectateur ; de l’humour pour relever le tout, même si sur ce point le film manque un peu de piquant. Reste néanmoins une belle apologie de l’amitié, portée par une mise en scène aussi vive que les couleurs qui pétillent gaiement sur chaque plan.