C’est avec un regard européen que le cinéaste Amos Gitaï aborde le troisième mouvement de sa saga d’une maison à Jérusalem, avec les yeux de ceux qui ne vivent pas le conflit entre Israël et la Palestine au quotidien. L’objectivité dont le cinéaste se targue permet de poser un constat terrible : même sans torts ni raisons, ni sans intégrisme aucun, les habitants de la « maison israélo-palestinienne » ne parviendront jamais à la paix.
Autour de la maison de Jérusalem qui a déjà été le centre de deux de ses films, Amos Gitaï filme le quotidien de tous ceux qui ont marqué cet endroit. Les anciens propriétaires palestiniens, les nouveaux, israéliens, les ouvriers qui y ont travaillé et y travaillent encore, palestiniens, un voisin, israélien… Pour le réalisateur, les flux de population qui se croisent dans la maison sont une métonymie des diasporas successives des peuples d’Israël-Palestine. Il suit, caméra à l’épaule, l’exil de certains, recueille les confidences et les récits historiques des autres, choisit de laisser chacun libre de dire ce qu’il veut à la caméra, sur ce que lui inspire la maison. Et chacun, devant cette opportunité, de se laisser aller à partager avec le cinéaste ses expériences, d’offrir à leur interlocuteur et au spectateur des tranches de leur vie, des extraits de quotidiens déchirés : on en vient à se demander dans quelle mesure Gitaï a même monté un tant soit peu ses entretiens.
Gitaï refuse de définir un dogme, préférait laisser ses images parler d’elles-mêmes, être interprétées par chacun, mais l’important dans le film n’est pas là. Il ne s’agit aucunement de trouver un coupable, ni même de comprendre comment on en est arrivé là. Les idéologies ne restent que rarement intactes face à l’épreuve du quotidien, et c’est lorsque ce quotidien devient inféodé aux idéologies, par essence théoriques, que se déchaîne la plus absurde des situations de guerre civile. Ce n’est pas le discours appuyé et légitimé par Gitaï, qui se refuse tout au long de son film à tout commentaire autre qu’impartial, mais la seule conclusion qui s’impose, une fois le film passé, au spectateur. Le reste : torts, raisons, légitimités, fautes, droits et devoirs, tout cela n’est qu’un ramassis de notions tellement subjectives qu’elles ne peuvent s’appliquer dans les faits. Ni en Israël, ni en Palestine, ni dans aucun pays que la guerre civile déchire.
Véritable reportage brut, où la présence du montage est tellement discrète qu’on peut le penser inexistant, sans effets, le documentaire d’Amos Gitaï se pose en contrepoint d’un style sensationnaliste à la Al Gore ou Michael Moore. Inspiré avant tout par le besoin qu’a la situation israélo-palestinienne d’objectivité et d’impartialité, le réalisateur pose les bases d’une forme brute de stylistique documentaire. « Dieu est dans les petits détails », dit-il en citant le mentor de son père, l’architecte Mies van der Rohe. Ces « détails » semblent la raison d’être de News from Home… : chaque personne n’est qu’une accumulation d’anecdotes, d’histoires, de peurs et de joies, d’ouverture, d’idées reçues, d’un quotidien humain et vivant. Le devoir du cinéaste dans sa démarche documentaire serait donc de saisir les détails pertinents : Gitaï choisit de n’en omettre aucun. Sa propre culpabilité d’artiste semble le hanter, tout au long du film. Sur la dernière séquence de son film résonne sa voix, qui souligne que pour la première fois, une actrice est à l’écran, par opposition aux autres protagonistes de News from Home…, personnages réels. Cette actrice, dit-il, jouera dans un film à venir. Au terme de son film, le réalisateur semble se demander les raisons qui le poussent à retourner à la narration fictionnelle. Pourquoi choisit-il en tant que cinéaste de styliser le réel, de le travestir ? La forme qu’il a adoptée dans News from Home… ne serait-elle pas plus juste, plus digne ?
Se voulant documentariste objectif, Gitaï dresse les portraits des Palestiniens et d’Israéliens, en refusant les stéréotypes colportés médiatiquement, mais sans pour autant proposer de thèse ni de solution. Avec le recul, l’audace et la cohérence de cette approche « réaliste » s’impose, et si l’on reste interdit devant News from Home… de ne pouvoir s’enflammer pour l’un ou l’autre camp, on ne peut que saluer le travail qui a présidé à la réalisation.