Ana Arabia présente une double singularité dans la filmographie d’Amos Gitaï. Dans ses explorations de la société israélienne et de son lien à la terre, le cinéaste ne s’est jamais autant approché de la communauté arabophone. Surtout, aucun de ses autres films n’a ressemblé à ce point à un film de performance formelle. Long d’une heure et vingt-quatre minutes, il a en effet été tourné en un unique plan-séquence, à la manière de L’Arche russe de Sokourov. Comme dans ce dernier, le parti pris a un assez bon prétexte pour ne pas passer pour un tour de force auto-satisfait : il se présente comme l’adoption d’un point de vue limpide et modeste, celui d’un témoin invisible suivant comme son ombre le personnage principal en vadrouille dans un lieu circonscrit.
Ledit personnage principal est une journaliste israélienne, venue dans un quartier palestinien de Jaffa pour interroger la famille et l’entourage d’un couple mixte dont l’épouse vient de mourir (elle était juive, il est musulman). Circulant dans les ruelles de ce petit espace, entre l’intérieur d’une maison, un jardin, une terrasse et un trottoir, elle passe d’un interlocuteur à l’autre, reconstituant au fil des témoignages l’histoire de ce couple qui niait toute frontière inter-confessionnelle, et un peu d’âme de ces habitants attachés à leur quartier et leur mode de vie, malgré (ce que révèlent les dernières secondes, où la caméra s’élève en surplomb des toits) l’encerclement par la grande ville à majorité juive.
L’art de redire
Si le dispositif de Gitaï peut présenter un caractère de forçage, c’est dans cette intention de collecte appliquée si littéralement par le film-plan : il est évident que cette histoire d’interview n’est qu’un prétexte un peu grossier pour aligner, dans un mouvement voulu comme continu, les scènes de dialogues dialectiques sur la vie d’Arabo-Israéliens endurant leur sort avec philosophie et sans violence, sur la possibilité d’échanges – certes contrariés – entre communautés opposées. D’autre part, il n’est pas sûr que le résultat soit si concluant : on anticipe vite le discours d’ensemble formulé par les histoires édifiantes et les constats qui en ressortent, discours entre espoir, esquive des clichés déterministes et désillusion déjà formulé par ailleurs (et par Gitaï entre autres). Ceci dit, si le cinéaste n’approfondit guère ce qu’il a pu dire précédemment, on sent bien qu’il s’efforce de le réaffirmer et non de l’ânonner machinalement – que dans son exercice didactique, il a envie de continuer à croire en cette vision du monde. Et si Ana Arabia ne constitue pas une nouvelle et renversante proposition sur le sujet, il témoigne d’une ténacité difficile à dénigrer.