On attendait le nouveau Amos Gitaï avec impatience. Il avait décidé de mettre « Israëlpalestine » entre parenthèse, pour, selon ses termes, « avoir affaire au cinéma, sans l’ombre portée de la situation politique du Moyen-Orient ». Et quel cinéma ! Son magnifique Roses à crédit, découvert en projection presse, est une splendide adaptation du roman d’Elsa Triolet. Léa Seydoux sublimée par la lumière opalescente de l’image d’Éric Gautier, un récit tout en fines ellipses prenant à rebours la chronologie des événements, enfin, un regard ponctué de gros plans pour ce destin de femme dévorée par un désir consumériste. Las ! Vous n’aurez pas la chance de voir ces Roses sur les écrans noirs. Le film ne sortira pas en salles et nous ne publions pas de critique de ce qui aurait dû être notre « film de la semaine ». Comprendre cette fâcheuse décision oblige à se pencher sur les règles complexes de la production cinématographique, plus précisément sur les liaisons dangereuses entre télévision et cinéma. Produit par Image et Compagnie pour le compte de France 2, Roses à crédit devait, selon un accord entre Amos Gitaï et les dirigeants de France 2, sortir en salles avant une diffusion télé. Mais le film a aussi reçu une aide de 300 000 euros du CNC. Dès lors, sa Commission d’agrément – indépendante – devait vérifier qu’il existait bien deux versions différentes du film (une pour la télévision, une autre pour le cinéma), comme le stipulent les règles du CNC. Ce n’est pas le cas, dixit la commission – dont l’avis, rappelons-le, n’est que consultatif – qui décide, deux semaines avant la date prévue, d’annuler la sortie en salle.
À l’origine, ces règles étaient censées préserver la production cinématographique des effets potentiellement pervers de l’entrée en jeu des chaînes de télévision. Si France Télévisions avait produit Roses à crédit par sa filiale cinéma, les règles auraient été différentes. Le système est manifestement rouillé et les victimes sont les films. Car on ne peut pas d’un côté demander aux chaînes de jouer leur rôle de producteur et de s’engager sur des films d’auteur et, de l’autre, ne savoir que faire de la concurrence télé/cinéma et de la préservation de l’économie de deux médias bien différents. C’est bien de cela dont il s’agit, puisque, selon la commission, la décision d’annulation est une façon de « préserver l’économie de la version télévisuelle de l’œuvre ». La sortie en salle paraît donc bien hypothétique. Carlos, d’Olivier Assayas, avait aussi pâti de cet imbroglio administratif : le film avait été retiré de la compétition cannoise au dernier moment car il était considéré comme une œuvre uniquement produite pour la télévision, Canal+ en l’occurrence, et avait trouvé sa vie en salle après la diffusion télé. Amos Gitaï qualifie la Commission de « monstre administratif » et se dit « dégoûté ». Nous le sommes tout autant que lui.