Le cinéaste Hirokazu Kore-eda est connu pour au moins trois choses : sa faculté de diriger des enfants de façon convaincante (talent qui lui attire maints suffrages), son souci d’acuité réaliste (jusque dans ses essais de fantastique allégorique, comme After Life ou Air Doll) et sa tendance à vouloir faire passer la pilule réaliste sous des apparences conciliatrices voire badines (par la musique, notamment). Dans Tel père, tel fils, il y a bien des enfants correctement joués, mais ceux-ci restent ici moins des sujets que des objets, objets d’enjeux adultes auxquels le film s’intéresse avec une acuité dont les éclats d’absence de complaisance rappellent un film singulier de Kore-eda, le très bon Still Walking.
Désigner, mais ne pas trancher
C’est dans les termes voilés des piques conjugales routinières que d’entrée de jeu, M. et Mme Nonomiya signalent leurs différences sur l’éducation de leur fils Keita. Comme dans Still Walking, Kore-eda observe une cellule familiale où le ver du malentendu et de la cruauté au sourire bienveillant est dans le fruit du bonheur promu en valeur sociale et donc affiché par tous (c’est ici une famille aisée – le père, Ryota, est architecte). Le scénario se charge de mettre à nu ces fêlures par un coup de théâtre : les Nonomiya apprennent abruptement que Keita n’est pas leur fils biologique, qu’il y a eu un échange à la naissance. Soudain, le film devient celui de Ryota, prompt à se prétendre conforté dans une intuition qu’il aurait eue vis-à-vis de ce fils étranger (« c’était donc ça »), à chercher des responsables à cette anomalie (sa femme qui en tant que mère aurait dû s’en douter, la maternité…). Ses doutes, ses certitudes et ses calculs se font le moteur du film. Celui-ci fait mine de faire siens les thèmes des doutes explicites de Ryota (le lien père-fils se définit-il par le sang et par lui seul ?). Mais en même temps, il relève que la question n’est pas si simple, même pour ce personnage aux désirs décidément troubles : une fois contact pris avec le couple qui a élevé son fils sous le prénom de Ryusei (c’est-à-dire les parents biologiques de Keita), il caresse la glaçante idée – jamais concrétisée – d’obtenir par voie judiciaire la garde des deux garçons, comme si ceux-ci n’étaient plus que des objets à posséder… Sur le même mode déceptif, Kore-eda déclare formuler entre les deux couples un conflit de classes – assez grossièrement d’ailleurs, opposant aux bourgeois Nonomiya les Saiki, gens simples travaillant de leurs mains, aux manières moins guindées mais aussi aux personnalités moins affirmées, semblant là seulement comme contrepoint comique aux démarches de Ryota. Il y a pourtant ces moments où les familles de milieux différents se rapprochent, et pas toujours pour le meilleur : quand il s’agit d’espérer de grosses indemnités, par exemple ; ou quand, l’échange de bébés s’étant avéré un acte de malveillance, les mères (celles qu’on accusait trop rapidement de ne s’être doutées de rien) s’épanchent toutes deux de leur colère envers le coupable.
Ainsi, face à des idées générales peut-être trop propices à la simplicité (comme la définition de la paternité), Kore-eda prend-il soin de ne pas trancher, de réserver le droit à quelques scènes de déjouer le filtre de ces idées. D’une manière générale, comme souvent dans ses films, le réalisateur de Nobody Knows refuse de trancher quoi que ce soit, tâche de maintenir l’équilibre entre d’un côté l’observation acérée des replis sombres du comportement social humain, de l’autre le soulagement rapide de cette noirceur par le recours – sur le plan de la forme et de la musique choisie – à un sentimentalisme peu bruyant mais palpable censé triompher de ce qui empèse l’âme humaine. Cela donne ici un film dans l’ensemble pas toujours égal, pouvant donner une impression d’inaboutissement, mais où ces moments de lucidité sans cruauté mais sans complaisance sont assez rares et précieux pour qu’on en sache gré au cinéaste et qu’on ne soit pas indifférent à son travail.