« On est tous des sauvages. » Cette phrase, placardée (en français) sur un Indien retrouvé pendu à la moitié du film, verbalise autant le mouvement de The Revenant qu’elle illustre la démarche cinématographique d’Alejandro González Iñárritu. Le mouvement, c’est celui d’un anti-western : en substituant à l’horizon civilisateur de la Frontière une plongée dans la sauvagerie la plus complète, qui confronte le spectateur au cœur noir de l’Histoire (extrême violence, viols, vols), The Revenant se rêve en grand survival enneigé et jumeau obscur du Nouveau Monde, déjà photographié par Emmanuel Lubezki, à qui il reprend son motif central – un point lumineux autour duquel s’organise le cadre, qui dans le film de Malick marquait la séparation entre le seuil et l’horizon, le terrestre et le céleste. La démarche, c’est celle d’énoncer une idée, puis de la répéter, encore et encore, jusqu’à ce que le récit rende les armes. Sur ce point, The Revenant est le film qui pourrait peut-être (on est en droit d’en douter, vu le récent triomphe du film au Golden Globes et de son statut de favori pour les Oscars) dégonfler la baudruche Iñárritu. Car en abandonnant sa manie du concept-toc (la choralité, le systématisme des plans-séquences de Birdman), le cinéaste prend le risque d’afficher pleinement cette fois-ci le vide de sa mise en scène, musclée et clinquante, mais comme condamnée à rejouer ad nauseam la même chose : la renaissance (Hugh Glass-DiCaprio sort de sa tombe, de sa hutte médicinale, du cadavre de son cheval dans lequel il s’est réfugié), la sauvagerie (il mange cru des oiseaux, du poisson, du bison), les innombrables épreuves physiques qui émaillent l’itinéraire piaculaire du héros, etc. Il en va de même pour ce fameux point lumineux, omniprésent dans les compositions de Lubezki : sa récurrence figure autant l’obsession fixe qui anime le personnage monolithique de Glass (la vengeance, et c’est tout) qu’il trace d’un trait épais la trajectoire mystique de l’intrigue, par l’entremise de vignettes singeant le mysticisme de Malick où les fantômes indiens de l’entourage de Glass ressurgissent dans le monde des vivants.
Performances
Conçu comme le négatif de Birdman – au huis-clos bavard à Broadway se succèdent les grandes étendues américaines à travers une fresque qui se rêve effrénée –, The Revenant souffre pourtant d’une même recherche de la performance. Performance qui s’entend ici de deux façons : d’une part, une certaine idée de la virtuosité (portée par le talent technique indéniable de Lubezki) qui tourne toutefois à vide, se résumant à dépeindre de la façon la plus immersive possible une contre-histoire, violente et impitoyable, de la colonisation en enchaînant des séquences-tours de force (dont un long combat en plan-séquence contre un ours numérique), et de l’autre une conception assez pauvre du jeu d’acteur. Qu’en l’espace de seulement un an Birdman et The Revenant règnent sur la course aux Oscars n’est guère un hasard, tant les deux films incarnent deux versants possibles d’une « performance » à récompenser, soit la vieille star sur le retour (Michael Keaton, qui joue à fond de son image de vedette défraîchie) et la prestation démonstrative et creuse de DiCaprio, réduit à un corps mutilé et rampant. Sans défendre coûte que coûte l’acteur, il faut reconnaître que c’est surtout le registre dans lequel il s’exerce qui apparaît assez limité, tant il contraint l’interprète à multiplier les épreuves physiques – être à moitié enterré vivant, nager dans une rivière glacée ou encore manger du poisson cru – et à enchaîner les mimiques pour signifier la souffrance extrême que ressent son personnage. Le finale, d’un gore appuyé, achève de clouer le cercueil : autant sur le terrain du Nouveau Monde que de celui de Gravity (Lubezki, encore), Iñárritu fait étalage une fois de plus de sa lourdeur et de sa grandiloquence.