Aux commandes de Bardo, Alejandro Iñárritu est crédité à quatre postes décisifs (réalisateur, producteur, scénariste et monteur), s’offrant même le luxe de composer la bande originale du film aux côtés de Bryce Dessner. Non content de contrôler son cinéma plus que jamais, il en devient même l’unique sujet : le personnage central de Bardo, Silverio Gama (Daniel Giménez Cacho), est un alter ego presque parfait d’Iñárritu, à ceci près qu’il n’est pas réalisateur de fiction, mais journaliste et documentariste. Ce double du réalisateur traverse une sévère crise existentielle dont la véritable teneur ne sera jamais explicitée, bien que le scénario égrène ici et là quelques causes stéréotypées (les relations avec ses parents et ses enfants, un sentiment d’incompréhension…). L’autofiction touche même à la mise en abyme, puisque Silverio s’attelle à une œuvre mêlant introspection, chronique familiale et réflexions sur l’histoire du Mexique.
Bardo témoigne d’un narcissisme d’autant plus décomplexé qu’il est intégré à son récit. En témoigne tout particulièrement une scène où, à l’occasion d’une soirée, un présentateur de télévision accuse Silverio de se complaire dans son nombrilisme, comme si Iñárritu voulait se dédouaner d’une critique qu’il aurait intégrée à son film, sans pour autant chercher vraiment à la dépasser. Ce qui rend toutefois Bardo vraiment pénible réside moins dans l’égotisme de l’auteur que dans son incapacité à en tirer artistiquement quelque chose. Iñárritu empile des séquences interminables où les personnages ne sont que les rouages d’une machinerie répétitive. Bien que le film bascule vers un cadre intimiste, le réalisateur ne se départit pas d’un style emphatique, avec une fascination inentamée pour les plans-séquences, les travelings fluides que permet la steadicam numérique et les très grands angles. Le systématisme de ces effets témoigne d’une confusion entre mise en scène et tour de force technique – confusion déjà à l’œuvre dans les précédents films d’Iñárritu, mais qui apparaît ici d’autant plus criante qu’elle sied particulièrement mal à la perspective psychologique esquissée par le scénario. Rarement la vacuité du cinéaste aura été aussi nettement mis à nue.