Le film d’ouverture d’un festival est rarement le meilleur présage de la qualité de sa sélection. Le nouveau film d’Alejandro González Iñárritu (cinéaste qu’on voit plus souvent hanter le festival de Cannes que la Mostra de Venise) ne fait pas exception. A priori, son sujet pourrait laisser attendre une certaine légèreté par rapport aux étouffe-chrétiens précédents du réalisateur de Babel. Cependant, le plus prometteur du pitch est épuisé au bout de vingt minutes (le film dure deux heures) : un ancien acteur hollywoodien, rendu célèbre pour son interprétation d’un super-héros dans les années 1990, a changé radicalement de carrière, et prépare sa première à Broadway comme metteur en scène d’une pièce adaptée d’une nouvelle de Raymond Carver. Une fois qu’un de ses comédiens, suite à un accident douteux, est remplacé par un autre, meilleur mais obsessionnel du « Method acting », Birdman trace sa route à travers tous, absolument tous les clichés sur les thèmes que brasse son scénario : les répétitions de pièces/films qui se détraquent ; les anciennes gloires narcissiques, alcooliques, mauvais pères, has-been incapables de tourner la page ; la cohorte d’egos incompatibles, de névrosés, de profiteurs, d’hystériques, d’épaves humaines qui gravitent dans ce milieu ; l’art, sa vanité, la vanité de sa critique, surtout à New York ; les « quinze minutes de gloire » warholiennes accessibles à tout un chacun via les réseaux sociaux ; etc.
Iñárritu fait ce qu’il peut pour rendre intéressant ce tombereau de lieux communs. Il fait mine de second degré en marge de l’intrigue, donnant le rôle de l’ex-Birdman à Michael Keaton (l’ex-Batman de Tim Burton) et celui du pénible « Method actor » à Edward Norton (dont la réputation est assez similaire) pour jouer à la réflexivité avec le réel, saupoudrant le tout d’un peu de name-dropping d’intention ironique sur le show-business (les productions Marvel, les Transformers, Ryan Gosling, Justin Bieber… tout y passe). Il cherche à intriguer en agitant des questions dont il se moque, au fond, de la réponse (l’ancien interprète de Birdman serait-il un vrai super-héros, ou juste un lunatique obsédé par son personnage qui lui parle dans sa tête ?). En bref, il se livre à la seule chose à laquelle sa trajectoire de cinéaste semble l’avoir voué : singer l’auteur surplombant qui aurait quelque chose à dire à travers une petite cuisine de situations typiques, où les grands mouvements d’appareil dessineraient une œuvre pleine de chair et d’âme, là où, en observant avec un minimum d’attention, on ne découvre qu’un grand espace vide.
Labyrinthe truqué
Birdman brasse avec ses grandes ailes un tel volume de néant qu’on en oublierait presque le truc formel par lequel il signale la présence d’un auteur présumé. Le film se passe de presque tout raccord cut apparent, ce qui crée des faux plans-séquences où la caméra fait mine d’être constamment en mouvement à la remorque d’un personnage, à travers les couloirs, les pièces encombrées, les rues, les toits. À sa décharge, le procédé, déjà usé et surtout dans les festivals, tient cependant moins de l’esbroufe qu’ailleurs : certaines ellipses temporelles (perceptibles par le changement progressif de lumière) rendent évident que des séquences existent au sein d’un faux plan-séquence. Cela génère de longues « sections » établissant dans chacune d’elles un semblant d’unité de l’espace, mais où le temps peut se montrer pour le moins élastique. Mais de ce principe esthétique, de ce rapport à l’espace et au temps, Iñárritu ne tire absolument rien d’autre qu’une attraction foraine, se contentant de semer sur le passage de sa caméra quelques embûches à l’adresse de ses personnages, pour bien signifier à quel point son procédé est pour eux un labyrinthe dont ils ne peuvent s’échapper que selon son bon plaisir — fût-ce en un hors-champ final instillant le suspense le plus grossièrement manipulateur. Il est vrai que des auteurs auto-proclamés aussi poseurs que celui-ci, quel que soit leur sujet, ont trop souvent besoin de victimes pour exercer leur petit pouvoir.