Un jour de pluie à New York ne marquera pas d’une pierre blanche la filmographie de Woody Allen, mais ce retour après un hiatus forcé – tourné en 2017, la sortie du film fut suspendue en pleine vague #MeToo –, éclaire un étrange mouvement à l’œuvre dans les derniers films du cinéaste. De prime abord, les Allen récents semblent rejouer la même petite musique sur un mode mineur, presque réduite à sa caricature. La première partie d’Un jour de pluie met ainsi en place le théâtre allenien traditionnel, avec son avatar du réalisateur (Timothée Chalamet), un canevas de conte moral, son décorum de carte postale, ses intrigues boulevardières et les performances outrancières d’acteurs en surjeu. Cette routine, qui capitalise sur son charme suranné et les bons mots du scénario, constitue toutefois le terreau d’une légère bascule, si légère qu’on peut tout à fait la considérer anecdotique, mais qui révèle la présence d’un petit reste de l’œuvre de Woody Allen.
Deux scènes en témoignent. La première met en scène Elle Fanning, qui doit jongler avec un rôle assez ingrat de jeune ingénue originaire du Midwest un peu impressionnée par les artistes qu’elle rencontre le temps d’une journée. Il suffit d’une question, celle d’un comédien qu’elle dévore des yeux, un simple « Avez-vous un petit ami ? », pour que l’actrice démontre toute sa science du jeu, que son corps s’anime et littéralement se déploie, que son visage, ses bras, ses yeux jouent de concert une danse mi-maladroite mi-charmante pour répondre à la question de manière détournée. C’est une scène curieusement merveilleuse, qui ne tient au fond que sur les épaules de l’interprète, mais on ne peut pas complètement occulter qu’il aura d’abord fallu que le personnage se fige pendant une heure dans un archétype pour que la chrysalide se métamorphose en papillon. Tel est au fond l’horizon moral un peu lourd du cinéma d’Allen : il ne faut jamais s’arrêter aux apparences, d’où l’importance cardinale du cliché dans ses dernières productions, que le cinéaste embrasse pour mieux ensuite le fêler légèrement, sans toutefois complètement le mettre à bas. C’est là qu’intervient la deuxième scène qui, justement, fêle un petit peu l’image d’un autre personnage en apparence univoque, la mère bourgeoise et exigeante du héros, avec une confession accompagnée d’un petit travelling avant qui vient rabattre les cartes. Ce n’est pas grand-chose, mais il y a quelque chose de presque émouvant à discerner les dernières braises d’un feu que l’on croyait depuis longtemps éteint – c’était, d’ailleurs, l’objet de la fin troublante de Wonder Wheel, qui venait sauver in extremis le film de sa médiocrité. Woody Allen ne tournera peut-être plus de films pleinement convaincants, mais ces quelques fragments justifient au moins de continuer à les voir.