L’équation Claire Simon : 5 films disponibles en DVD = 2 fictions (Sinon oui, Ça brûle) + 2 documentaires (Coûte que coûte et 800 kilomètres de différence) + l’hybride Les Bureaux de Dieu. Un calcul qui pousse à l’étude des problématiques et des caractéristiques de la désormais incontournable dame du cinéma français.
L’histoire vraie et le récit fabriqué
On remarque dans la filmographie de Claire Simon des va-et vient réguliers entre le genre documentaire et la fiction. Loin de traduire une inconstance, cette habitude reflète en réalité le goût de la cinéaste pour le réel. Une réalité où il est bon de pêcher une idée, une histoire. C’est l’événement, le concret, qui initie chacun de ces cinq films. Documentaire ou fiction ? La réponse se détermine après avoir discerné lequel des deux genres communiera le mieux avec le sujet. C’est ainsi que Les Bureaux de Dieu se sont tournés vers la fiction par cohérence : la parole intime et confidentielle qui s’inscrit dans la démarche des usagers du planning familial ne pouvait pas être « trahie » par la présence de la caméra. Des années avant, Sinon oui, le premier long-métrage de fiction de Claire Simon, mettait en scène une jeune femme (Catherine Mendez) simulant sa grossesse à son entourage, et affichait en sous-titre : Reconstitution d’une histoire vraie. Ce qu’il y avait d’authentique à l’origine de l’histoire prenait ensuite la forme d’un scénario usant d’un ressort de fiction très puissant qui opérait tout au long du film : l’ironie dramatique. C’est une rumeur qui a donné naissance à Ça brûle. En partant d’un fait divers prosaïque (un été, une jeune fille aurait mis le feu à la végétation sèche du Var), Claire Simon injecte du symbolique à sa trame narrative. Dans le film, cette jeune fille monte à cheval, a un regard de braise, des cheveux acajou, et porte un tee-shirt rouge, mais surtout : elle brûle de désir pour un pompier. Un effet allégorique certes jusqu’au-boutiste, mais qui écarte définitivement le film de la simple chronique. Ainsi, la fiction traduirait l’obsession de percer à jour « ce qui s’est passé », quitte à extrapoler ou fantasmer ; tandis que le documentaire serait la victoire d’un instant qui réussit à capter quelque chose qui « est en train de se passer ». Dans Coûte que coûte, quand la cinéaste filme la descente aux enfers d’une entreprise, elle intercepte ces moments d’incertitude avant la fermeture définitive, où le suspense reste entier pour les spectateurs comme pour les témoins : quelle sera l’issue des diverses tentatives pour redresser la boite ? Dans 800 kilomètres de différence, l’instant, c’est cet éphémère et pourtant si confiant amour adolescent que partage Manon, la fille de Claire Simon avec Greg, son amour d’été. Sous-titré Romance, le documentaire réussit à dramatiser, dans les deux sens du terme, l’insouciance de cette relation.
Partir du mot pour venir à l’image
Claire Simon puise sa force créatrice dans sa capacité à rebondir sur une information : ce sont les mots, les rumeurs, les paroles qui l’inspirent. Ainsi 800 kilomètres de différence trouve son titre dans les paroles de Manon, et Coûte que coûte est découpé en séquences reprenant les propres mots des personnes du film. Glaneuse d’expressions, Claire Simon est aussi une véritable « femme à la caméra ». Dans les bonus du DVD des Bureaux de Dieu, on peut la voir diriger son équipe en tenue de travail : harnachée comme une maman portant son bébé… Son sens du cadre et de la photographie, se retrouve au fil des films, chacun allant de sa singularité, à l’encontre parfois des conventions. Ainsi, la fiction Sinon oui, possède une image moins léchée que le documentaire Coûte que coûte. Dans 800 kilomètres de différence, la caméra scrute, elle est l’œil épieur de la mère sur la fille. Dans Sinon oui, une belle trouvaille de mise en scène prend le spectateur à partie. Quand Magali ment, elle se tourne vers la caméra pour éviter le regard de celle ou celui à qui elle cache la vérité. Souvent, la caméra glisse vers les mains des personnages, qu’ils soient fictifs ou réels, comme si la cinéaste attentait qu’ils lui donnent quelque chose.
Des sujets, des thématiques
Ce qu’ils lui donnent c’est certainement la matière à poursuivre son travail autour des mêmes problématiques : l’adolescente, la femme, la maternité… et de les mêler. Inutile de revenir sur Sinon oui ou Les Bureaux de Dieu qui en sont les exemples criants. Dans Ça brûle, si l’adolescente est la protagoniste, le film ne cesse de questionner la place de la femme autour de ces différents « modèles » : la femme pompier, la mère au foyer et bonne épouse, la mère homosexuelle et enfin le femme des images, médiatiques cette fois, comme ces filles remuant leurs popotins dans un clip de rap à la télévision de la caserne.
Dans 800 kilomètres de différence, Manon, la fille de Claire Simon, est une adolescente très nature, à l’aise devant la caméra. Parfois en creux, Claire Simon devient une protagoniste-relais. D’habitude, se sont les ados qui s’ennuient l’été lorsqu’ils sont contraints de partir avec leurs parents. Ici c’est l’adulte, la mère, qui fait intrusion dans la vie privée de sa fille, comme pour pallier la solitude et l’ennui. Ces plans larges qui guettent les amoureux qui se bécotent, c’est l’adolescence vue par une mère, dont la caméra est le regard bienveillant ou curieux, qui ne connait parfois pas ses limites… mais perçoit les distances. C’est à Claviers, un petit village du Haut-Var que les deux amoureux coulent des jours heureux. Comme Manon habite Paris, la distance plane comme une menace. Cette dernière d’abord géographique, prend peu à peu la forme d’une différence dans leurs modes de vie. C’est clairement la confrontation de deux milieux qui se joue dans leur relation. Lui, fils de boulanger, travaille toutes les nuits avec son père. Elle voudrait lui prêter des classiques, car chez lui il n’y a pas de livre, seulement des fusils. Mais Greg lit en priorité son manuel de chasse car bientôt, il passera son permis. 800 kilomètres de différence, c’est un peu La Règle du jeu avec les codes sociaux inversés. Lors d’une partie de chasse dans une forêt varoise, lorsque Claire Simon demande à Greg s’il a conscience qu’il pourrait tuer quelqu’un avec son fusil, il reconnaît : « Si les chasseurs pensaient, ils ne chasseraient plus. »
Jamais la réalisatrice ne juge ceux qu’elle filme : que ce soient les femmes du planning familial des Bureaux de Dieu, la pyromane de Ça brûle, la mythomane de Sinon oui, le patron de Coûte que coûte ou les amoureux de 800 kilomètres de différence. Au contraire, dans chaque film, la cinéaste organise la rencontre de ses spectateurs avec ses personnages. Cette harmonie de la représentation, c’est le résultat de l’opération Claire Simon.